J’interroge mon personnage sur ses lectures. Je profite du fait qu’il soit d’abord un être vivant, qu’il ne soit qu’accessoirement un être de papier. Peut-être que je trompe les muses en interrogeant directement le monde réel. Je l’interroge, je lui pose quelques questions auxquelles il répond de bonne volonté. Je veux d’abord savoir ce que lisait sa grand-mère ; et il y aurait sans doute eu une page d’écriture passionnante à faire sur ses lectures si on l’avait interrogée à temps : elle lit les romans de la collection Arlequin, des romans à l’eau de rose. Ça change les idées, c’est tout ce que je sais. Il dit que quand il est enfant, on lui donne à lire la littérature de jeunesse encore à la mode, les romans de la bibliothèque rose, bibliothèque verte ou bibliothèque rouge et or. Il ne garde pas de souvenirs de ces lectures (le général Dourakine ne s’est pas inscrit dans sa mémoire). Il se souvient un peu de Rémi sans famille ; il se souvient surtout que c’est très triste et que la littérature arrache facilement des larmes. Il lit aussi des bandes-dessinée, Tintin, Astérix, Gaston Lagaffe et il comprend que la littérature peut être amusante. Il faut attendre la rencontre avec le copain Alexandre, en cinquième, qui pique les livres de ses frères aînés. Alors commencent les choses sérieuses : Stephen King puis Moebius et Druillet. Il découvre alors le plaisir de pénétrer des imaginaires effrayants. Le monde qui s’ouvre est vertigineux. Tout d’un coup, on sort des cases. On peut raconter des histoires d’anticipation et on peut les raconter sans phylactères. On ne pleure plus, on ne rit plus, mais ça parle.