Le jeu des chaises musicales qui indique « la place » de chacune, a été obscur et implacable depuis le début. Le début, comme je le disais, s’est situé dans les limbes de l’avant-naissance de Mathilde, et personne n’est capable aujourd’hui d’affirmer quoi que ce soit pour le prouver. Cela lui incombe désormais dans l’écriture quotidienne qui collationne les lambeaux de sa propre vie.
Marie-THERESE PEYRIN , Comme je l’imaginais…
Simple constat : il ne vient aucune scène présente immédiatement à l’esprit et toute scène potentielle apparaît comme une construction hasardeuse.
Avant que Mathilde se décide à parler ouvertement de cette famille en insistant sur les lignées maternelles, elle se doutait de l’impossiblité de savoir comment les recoudre ensemble, comme si elle avait espéré, et depuis longtemps déjà, reconstituer,une trame lisible à ses propres yeux.
« Au bord d’écrire » nous a-t-elle dit, elle n’a pas cherché autre chose que d’interpréter certaines images , à défaut de paroles réellement entendues. Les récits maternels ont été plantureux mais anormalement lacunaires et pourtant édifiants et fortifiants.Les récits paternels ont été laborieux et angoissés car quelque chose n’avait pas pu franchir la frontière de la filiation empêchée, pour cause de mort maternelle avérée, inimaginable donc refoulée. Entre orphelins on se comprend. Les quelques documents écrits, des lettres rares et précieuses, les voix grand-maternelles ont été spectrales et hallucinatoires. Mathilde les a vues solidaires, intimement symétriques… Tous les autres drames se sont greffés sur cette connivence imaginaire et fondatrice.
Mathilde a toujours aimé l’expression » retour amont comme les saumons ». L’exercice n’est pas sans danger, mais la joie des retrouvailles avec un sentiment fort de parenté vaut l’exploit insensé de relier les eaux entre elles grâce au corps de femme ou d’homme qui les traverse à rebours.
Un écrivain aimé parlait de seconde naissance. Mathilde ne l’a jamais oublié. Cette fois elle se sent prête pour parler vraiment de ce qu’elle a voulu retenir de ces leçons de femmes pourtant si différentes. Le mystère est total et c’est ce qui le rend si attractif…
Les traces ont un goût de poussière et Mathilde souffle dessus pour mieux voir ce qu’il y a en dessous. Elle éternue et recommence…
Mais, quelqu’un ,une femme justement, lui a dit hier – c’était lors d’une cousinade provençale, fort sympathique, tenue sous un saule pleureur- elle lui a dit avec véhémence que pour elle, le passé n’était pas important, qu’il fallait se débarrasser de toute cette brocante mémorielle, de la matérialité des objets en premier, elle ajoutait qu’il était plus facile de garder les morts au creux du ventre,un peu comme un bouclier invicible pour pouvoir avancer. Elle qui justement, ne pouvait rien avaler de plus et gardait ses mains plaquées-serrées sur son estomac anorexique…Mais Mathilde a su à ce moment là, qu’elle n’avait pas la même conception de la transmssion. Elle se promet de trouver des arguments pour justifier son goût pour les archives et les propos éteints, sa boulimie de récits à partager… Elle n’a pas encore vidé tous ses cartons dans la grande maison héritée.Elle reviendra longtemps nourrir ses rêves de paroles inédites.
e comme Mathilde est gentille elle ne lui a pas dit à la cousine que son refus du passé était idiot et en outre n’avait rien à voir avec un récit (et puis elle l’a lise dans le récit)
Justement non, le rapport au passé est quelque chose de très individuel et intime. L’argumentation à laquelle Mathilde a pensé sans pouvoir la développer correctement, ne visait qu’à tenter d’expliquer les éléments concrets de son positionnement personnel. Toutes les rivières coulent, dit-on, mais ce n’est jamais la même eau, ni les mêmes rivages. Ce que la cousine, qui n’en est pas une , puisque c’est une belle-soeur a affirmé avec véhémence, la concernait elle. Et Mathilde avait certains éléments d’analyse pour comprendre ce qu’elle ressentait.Elle connaît les traumatismes de sa vie a minima. Ce sont de gros blocs de rocher qui entravent la fluidité de l’eau et la rendent turbulente. En restant au bord, Mathilde ne peut que constater le phénomène. Tout jugement serait violent. Par contre, elle tient à montrer le plus tranquillement possible, qu’il peut exister d’autres façons de considérer tout cela dans le fameux « amont » des récits. Les faits sont prescrits, les effets ont des choses à partager. On est pas obligé.e d’accepter ce partage, mais le faire éclaire le chemin devant soi. Merci Brigitte pour votre passage. Mathilde n’est pas gentille dans ce cas, elle est surtout surprise de la réaction en face en pleine cousinade. Comme si celle-ci rendait compte d’une nostalgie ambiante non totalement assumée.
Un texte sur l’écriture. J’aime beaucoup. Le passé, ce n’est pas que du passé, ça nous marque. Collectivement et individuellement. Mathilde a raison de s’y intéresser.
Merci Jad, c’est bien lu. Et dans ce cycle, c’est bien le moment pour moi de chercher à situer l’engagement de Mathilde dans cette communauté de destins. Elle a fait son choix je crois. Je vais essayer de relire un peu les autres dont toi. Je ne peux le faire que furtivement car le travail d’écriture a pris des proportions gargantuesques. Mais je ne peux pas m’en plaindre.
il arrive que le passé nous hante nous obsède nous tire en arrière nous retienne de tout. Mathilde le reconstruit, en fait un berceau d’où elle renaît. Si elle fait ce travail, c’est cela lui manquait. Il lui fallait faire lever les bords du vase qui recueillerait le vide d’où des voix attendues maintenant s’élèvent. (pour reprendre la métaphore usée sans doute du tour du potier et de la création du vide).
J’aime beaucoup ce bord de l’écriture, comme le bord d’un nid.
J’aime beaucoup la sagesse et la générosité de Mathilde.
Merci Véronique, pour votre commentaire qui souligne à la fois l’enjeu et la méthode d’écriture incarnée par Mathilde. Oui, il faut donner pour recevoir et Mathilde a beaucoup reçu de sa lignée dans un registre plus immatériel que matériel. Elle s’est emparée de cette manne pour trouver et partager des mots nouveaux, « ses » mots, en fait dans le creuset des vases communicants au féminin. Vous avez raison de parler de berceau, puisqu’il s’agit bien de remonter aux sources, là où tout a commencé et recommencé. La métaphore du modelage est tout à fait appropriée, pour moi, le langage est une glaise qu’il faut laisser durcir au bout d’un temps pour qu’elle puisse contenir ce qui lui incombe. Il faut que le vide se fasse au milieu pour pouvoir le remplir de nectar verbal ordinaire. Les mots de toutes et de tous, mais agencés de manière singulière. Au bord du monde, à la lisière du silence, se dessinent des trajectoires et des silhouettes. J’aime ce travail minutieux de mise en forme. Répéter les mêmes gestes à l’infini pour le plaisir du contact avec le sens. Mathilde vous remercie pour votre approche si chaleureuse. Elle se sent entendue au plus profond. Je voulais vous dire aussi que les morts ne sont pour rien dans leur insistance à être évoqués. Ce sont les vivant.e.s qui sont les amphores du passé, qui les transportent et qui les cassent en mille morceaux. Le vide ne disparaît jamais…
Magnifique, ton dernier bloc
j’ai retenu surtout ta trouvaille de « brocante mémorielle », terme tellement juste que lui renvoie sa cousine… et on imagine aisément les cartons de la sienne de mémoire, remplis à ras bord d’histoires et d’événements divers à donner un jour ci ou là…
Oui, Françoise, écrire au grenier de soi et des siens plaît infiniment à Mathilde. Elle sait aussi que le temps d’écrire ne se rattrape pas si on le dilapide n’importe où à la cantonade. Il y a même une contradiction entre vouloir donner sans savoir où ça va ou au contraire avoir le souci de l’adresse dans la transmission ( au moins dans une première intention). Savoir par qui et pour qui on écrit en valorisant le contenu. C’est d’abord qui choisir ? Et ensuite quoi choisir ? D’où ce souci d’essayer de trouver une position digne ( même dans l’emprisonnement d’une toile d’araignée) comme une plume vagabonde ( la photo du texte a été prise récemment dans un endroit de tri d’archives).