Ici c’est votre aquarium, peut-être ? Est-ce donc la vallée qui nous donne ainsi des allures de petit poisson ? Je vois le matin votre silhouette, le carnet à la main. Vous aimez cela n’est-ce pas, ce mot silhouette ? Il vous épargne d’en dire trop de toutes ces impasses, ces impensés à la vue d’un être humain. Je l’ai vue, votre silhouette, dès le premier matin et puis votre ombre le soir, le déplacement vif, le corps entier à l’affût. Parce que c’est petit ici vous savez. Les nouveaux sont vite repérés. Vous aimez je crois les miniatures et les maisons de poupée mais faut-il pour autant vous imaginer jouer ainsi avec les êtres, avec ces fausses distances de chirurgien qui figent tout ce qu’ils touchent si bien qu’on s’étonne parfois quand le cœur repart ? C’est facile vous savez la phrase, le langage, et on y décrit bien ce qu’on veut. C’est facile l’implicite, les contours, les esquisses, mais la chair, ce qui palpite ? Il est des points d’exclamation, des rythmiques, des souffles qui vous exonèrent de bien des choses et si ça remue à l’écrit cela peut bien à l’oral et ailleurs, tout autour, rester mort, empoussiéré. Voilà, le mot est lâché, empoussiéré. Vous voulez la vie, la vitesse, la couleur, je ne vois qu’une galerie d’animaux disparus dans un musée où ne passe plus guère aucun visiteur. Il faut des causses et des villes thermales dites vous, et bien et bien… et bien moi je me demande ce qui fait qu’un simple voyage aura suffi à changer le cours d’un récit, à mettre un terme à de premiers ressassements, et pourquoi donc après avoir parlé de la bourse et du système monétaire international, tout se fige soudain dans un village des Vosges, tout se fige au point qu’il ne reste là plus rien d’autre que moi, ce soir-là dans la ville éteinte ou plutôt le bourg ou alors le village, demandez-vous donc vous qui en observez chaque jour chaque habitant comme le visiteur d’un aquarium, demandez-vous donc de quel côté de la vitre vous vous situez depuis que vous avez pénétré dans le hall du grand hôtel, ce soir-là, à mon invitation, à l’invitation du veilleur de nuit…
Hypothèse : que s’atteler à l’écriture du roman, c’est aussi, pour l’auteur.e, apprendre à se prémunir des aléas de l’espace et du temps, à prévenir et tenir en respect le chahut des jours. Une discipline, quoi…
(moi, le mois d’août m’a été fatal… j’entrevois seulement ces jours-ci la possibilité de m’en remettre — le « roman », pour le dire vite, m’a, en quelques jours et deux trois déplacements, abandonné… devenu inaccessible, hors-champ voire obscène)
L’ennui est un sacré adversaire (et le temps un prédateur)… Est-ce lui ou des sortes de vacances qui nous valent cette cascade vosgienne (Niederbronn ? non, même pas de vallée à Niederbronn…) ? qui ont escamoté (un prestidigitateur est passé au casino ?) le roman en devenir des flux monétaires et des alternatives politiques (leur ombre en 11bis) ? (et que devient la poupée ?)
Je retrouve néanmoins parmi les « il y a », les (verlainiens) « c’est », « ce sont » (ou comment mettre les forces en présence), tes cartes postales (archétypes) de début août… Bien(re)venue !
Une partie des réponses est dans la #16 et dans la #9bis qui a inauguré ces cascades vosgiennes…Un voyage réel, bref, mais d’une intensité telle que l’ensemble des situations, décors, personnages sont restés gravés prêts à l’emploi. Puis un week-end de pont, le temps et le plaisir d’écrire et une personne me demandant en quelque sorte la suite des derniers textes, si bien que tout est ressorti. Je prête attention aux lanceurs désormais qui activent l’envie d’écrire : là c’était ce séjour et le lanceur précédent était l’envie de rendre hommage à qqn. Comme je le dis dans la #16, j’ai désormais ces lanceurs qui peuvent activer du contenu qui déborde, mais chaque lanceur active sa propre bulle, et puis j’ai une forme qui se dessine, je ne sais pas où cela ira, je ne m’en préoccupe pas trop. Si l’on reprend tous ces décors et personnages cela pourrait donner matière à des récits bien différents, alors je ne sais pas, je laisse la question en suspens. Je me demande si je ne suis pas faite pour une écriture chronométrée, intense, d’un trait, limitée dans le temps, pour garder une cohérence formelle d’un bout à l’autre.