Tout est lié, certainement. Parfois possible de discerner les coutures, le fil blanc. Parfois non. De plus en plus non, ce serait ça l'objectif, ne plus intervenir dans la façon d'ajuster les pièces du patchwork. Juste être là à les regarder s'ajuster.Sans rien y vouloir comprendre, sans les contrôler, les ordonner Se dire aussi qu'on n'est pas en train de prendre des notes, d'écrire un texte une chronique, une oeuvre qui seront lu, se désensabler des catégories, si écrire et vivre sont si étroitement liè, pas de faute de conjugaison si c'est une seule chose. Et si sérieux ou léger, lisible, illisible, beau, moche, n'avaient plus vraiment de sens, si on s'absentait de toutes ces catégories, alors peu importe, et le seul impératif serait l'abandon, écrire á partir d'une impulsion et de l'instant ou l'espace de ce qui vient comme ça vient. De toute façon pour obtenir ce que l'on veut il faut savoir ce que l'on veut et quand tu ne veux pas savoir ce que tu veux parce que ce que tu veux n'a aucune espèce dImportance quand c'est la fin d'un monde, tu écris ce qui se présente et c'est comme d'épouser quoique ce soit qui que ce soit sans nécessité de préambule en se débarrassant de sa propre idée d'importance, en apprenant l'autre, l'être, la matière au fil des jours, tels qu'ils sont et non comme tu voulais qu'ils soient. Peut-être que ça nécessite juste de la foi, de la naiveté (le courage ou la chance de faire plus d'un tour dans la naiveté) si ridicule ces mots sont-ils devenus à présent. Bref, ce texte a été rédigé avant de prendre connaissance de la proposition, et comme par anticipation, comme si écrire était aussi (pour moi) l'étude du magnétisme, dont on ne se rend compte qu'après coup quand les choses sont collées (par le hasard ? à moins que ce ne soit justement un mot valise pour ne pas dire foi et naïveté, avoir encore peur du ridicule )
A 04: 45, Jo ouvrit la boite à gants de la Dacia et attrapa le chiffon microfibre et nettoya ses lunettes et prit tout son temps car le ferry pour Split était déjà parvenu au port il ne partirait pas avant trois quart d’heure. Ils auront mis le plus de chances de leur côté pour être à bord Doris et lui quand le monstre reculerait doucement comme un Leviathan repu qui referme sa gueule avec des crissements de crécelle , d’engrenages et de poutrelles, emportant sur l’adriatique son tribut de touristes, de ferraille, de véhicules, de souvenirs de vacances inoubliables.
Doris roupillait encore dans la malle. Ils avaient pris soin d’installer un matelas dans celle-ci. Au cas où on ne pourrait pas trouver de chambre elle avait ajouté il y avait une paire de semaines pour le convaincre car au début Jo n’avait pas été enthousiaste de devoir faire des acrobaties dans un break pour s’allonger. A leur âge il avait commencé à déclarer en levant les sourcils et aussitôt elle lui avait répondu Qui sait… avec un sourire désarmant qui l’avait désarmé. Aller, si on peut économiser quelques nuits d’hôtel elle avait simplement suggéré et maintenant Doris roupillait. Elle avait pris un dodormil avec une gorgée d’eau et elle avait simplement dit comme on est bien puis elle avait ôté ses CROCS qui gisaient d’une façon émouvante sur le goudron sous le haillon et elle avait replié ses jambes tout en basculant son corps en position latérale et elle s’était très vite endormie et ils avaient ainsi passé une bonne partie de la nuit garés dans un recoin d’ombre du quai à leur l’arrivée au port de Stari Grad.
Et maintenant Doris dormait et lui Jo veillait au grain, du moins c’est ce qu’il se donnait comme excuse ou prétexte pour éviter de penser aux raisons éventuelles de ses insomnies chroniques.
Face à lui alors qu’il était encore assis au volant il devinait un rideau d’herbes folles au delà du pare-brise. Une envie d’uriner le fit sortir de l’habitacle. L’air était d’une douceur suave et au-delà des herbes il aperçut une petite plage essentiellement constituée de rochers. Soudain il se dépêcha de terminer sa petite affaire car il vit une ombre plus dense se découper sur l’obscurité et une lampe de poche balayer les alentours. C’était un type vêtu d’une combinaison de plongée qui revenait de la pêche portant ses palmes et un récipient dans une main , et la torche dans l’autre. Le type marcha sur le rivage quelques instants puis la torche s’eteignit et ils disparut. Jo resta un moment à observer la mer elle était decenue plus calme que quelques heures auparavant lorsqu’ils avaient chargé la Dacia plus au sud , à Sveta Nedjelja le petit village de leur villégiature croate souvent balayé par les vents et maintenant plus un brin de vent, la mer était calme, sa surface à peine striée ça et là par les lueurs des réverbères qu’il apercevait en bordure d’une promenade sur la rive opposée, au pied des montagnes. Soudain, il vit réapparaître la silhouette qu’il associa à celle du plongeur et elle en rejoignit une autre. Il y eut quelques éclats de torche glissant à la surface d’autres rochers d’autres herbes et de l’eau puis il ne vit plus rien. Jo consulta l’heure sur son smartphone puis il se reprocha de n’avoir pas fermé l’oeil depuis la veille où ils étaient arrivés.
Ils avaient passé leur dernière soirée dans la ville voisine du même nom qui, l’avait-il appris en consultant Wikipedia, avait été construite par les Grecs en 384 avant JC et qui était aussi l’année de naissance du philosophe Aristote et qui laissait ainsi penser que la ville était une des villes les plus anciennes de l’île et peut-être même d’Europe.
Des véhicules commençaient d’ arriver et à s’aligner par files sur le quai, les cafés ouvraient leurs portes, attirant des silhouettes vacillantes , des hommes en uniforme blanc, des hommes d’équipages, les premiers passagers. Jo se dit qu’il laisserait Doris dormir encore quelques minutes en allant les rejoindre dans l’espoir de trouver des cafés, de la réveiller doucement, puis de conduire la Dacia á l’embarcadère, d’attendre d’être ingurgités eux aussi par le monstre des mers le ferry de la Jadrolinija nimbé de lumières électriques bleu lavande. Dans quelques heures ils parviendraient à Split, puis de là ils seraient enfournés de nouveau dans un autre bâtiment, encore plus monstrueux cette fois appartenant à la SNAV, la compagnie maritime leader en Méditerranée , puis ils seraient régurgités aux alentours de 20 h sur le port d’Ancône en Italie puis de là ils prendraient l’autoroute et cette fois pas le temps de flâner comme à l’allée. A une moyenne de 100 km/ Doris avait calculé qu’ils rejoindraient Bologne puis Turin puis le tunnel du Fréjus, Grenoble, Annonay, et enfin leurs pénates à temps qu’avec de la chance ils seraient à l’heure pour réceptionner les petits enfants dimanche en milieu d’après-midi, les enfants, quant à eux, ne resteraient pas, même pas le temps de prendre un café, ils remonteraient ainsi de Tarragone en Espagne d’une traite vers Paris pour être à l’heure le lendemain et reprendre leur travail.
Jo chercha dans ses poches une pastille de Nicopass 2,5 mg de nicotine, mais il avait épuisé ses réserves depuis la vieille. Il compensa avec une pastille de Ricola original sans sucre. s’interrogea quelques secondes sur la nécessité de se rassurer oralement en s’obligeant de devoir sucer des pastilles sans relâche puis il laissa tomber. Il ouvrit doucement la portiere latérale de la Dacia, prit le temps de regarder Doris dormir encore durant quelques instants, d’écouter sa respiration régulière puis il posa la main sur la joue de son épouse et dit j’ai trouvé du café, il est bientôt l’heure.
suis d’accord avec toi, tout est lié, relié, présent réel passé rêve
donc ça se coud avec les résidus qui traînent dans la mémoire, un grand élan pour basculer dans le vide à chaque fois…
je te suis et je suis Jo et Doris qui dort encore, la bienheureuse…