Louise n’est pas un personnage de roman. Elle se moque bien de ce que je peux écrire sur elle, impénétrable au temps maintenant. Elle occupe l’espace qui compresse le temps dans des instants figés. Mais cette présence discrète détient encore l’autorité sur le reste. Elle est ce halo sombre qui l’entoure sur la photographie, elle est ce halo plus clair tout autour aussi. Elle me regarde et je n’ai en réalité aucun accès à ses pensées que je prétends restituer dans la fiction. Elle me regarde et ce regard transperce ce qu’à peine je parviens à ébaucher. Un instant elle est comme sortie du cadre, un cadre ostentatoire, trop grand, qu’une sorte de dévotion inquiète empêche de déplacer. Les contours de son visage sont flous dans la pénombre, ils tremblent comme dans les visions hallucinées du soleil trop vif. Je ne sais pas comment une présence s’impose d’une telle façon, comment un simple portrait prend le pouvoir, un fantôme envahit d’autres vies. Louise n’est pas un personnage de roman. Elle est à jamais photographie de papier sans être un être de papier. Sa vie a plus de consistance qu’un destin littéraire. Elle n’a pas besoin de moi. Elle n’a pas besoin de ce que j’écris. Elle échappe aux distorsions que je tente de lui faire subir, elle n’est plus dans le temps. Elle décide, elle inscrit le matrimoine familial. J’essaye péniblement de le retrouver, de répondre à l’injonction tacite. Je pourrais bien essayer de détacher le clou fixé dans le mur sans parvenir à effacer l’empreinte. Elle a marqué sa place. Et pour gagner la mienne, pour tenter de laisser une trace, je dois composer avec cette existence silencieuse, occupant tout l’espace, quand je n’y suis pas.
Très beau. J’aime le mystère de cette existence silencieuse.