Il fait nuit. A la sortie du grand hôtel, la rue est masquée par la masse sombre des rhododendrons. Les réverbères sont éteints. Il est 21h. Le crépuscule puis la nuit, descendent en nappes sur la vallée. Plus loin c’est l’ancien complexe hôtelier abandonné et son architecture art nouveau, l’immense marquise aux lignes courbes telle du papier gondolé. Plus loin encore, au bord de l’eau, l’ancienne gare transformée en casino poursuit son activité tard dans la nuit. Les éclats d’une musique de jazz parviennent jusqu’à lui. Il y a à peine quelques mois, il est aux cuisines ici au grand hôtel. Il y a quelques années, il n’est pas encore au grand hôtel. Qui sait où il est alors ? Cette nuit, il est le veilleur de nuit. Sur quatre-vingt chambres, une dizaine sont occupées. Il marche dans le hall. Un grand écran diffuse des chaînes en continu. Derrière lui, les lourds rideaux rouges sont soigneusement enroulés, ceints de cordelettes tressées de fils d’or. Le restaurant est désert. A l’étage, il y a ce couple depuis une semaine. Des hommes empruntent l’escalier. Ils ressortent quelques heures plus tard. Il vient de l’autre côté de la vallée. Il regarde l’étendue noire de la cour. A droite ce sont les thermes. Ce sont les salles sans lumière. Ce sont les couloirs carrelés. Et aussi, la surface invisible de l’eau. C’est une eau unique en Europe pour sa teneur en phosphore. Aux coins du hall d’entrée se dresse invisible la silhouette de statues absentes. Un jour on enlève les statues. Il faut des poulies. Elles mesurent plus de deux mètres. Les statues perdent leurs doigts. Ce sont les chocs thermiques successifs et le frottement des curistes. Les statues sont suspendues entre ciel et terre. Aujourd’hui elles sont entreposées à Roubaix. Il marche dans le hall. Ses chaussures s’enfoncent dans la moquette. Il observe une serviette égarée. Il la ramasse. Il se dirige vers le restaurant. Il pose la serviette sur une des tables. La laverie est au sous-sol. Il ne quitte pas son poste.