Il coupe l’eau de la douche. Il entend le « sta in fronte a te » que son ventre poussait avec conviction. Ses oreilles protestent. Si faux. Il s’arrête. Il tend le bras et va chercher derrière le drap de bain une serviette qu’il fait tomber et ramasse. Il se frictionne en allant vers la fenêtre. S’arrête devant la chaise sur laquelle en bon majordome il a préparé hier soir ses vêtements. Enfile tee-shirt et slip. Regarde le pantalon, les chaussettes, les chaussures. Leur tourne le dos et glisse ses pieds dans ses mules. Passe dans la chambre, enfile le jean jeté sur le bout du lit. Finit de s’installer dans le jour et de se résigner à être créature pensante, mais pas trop. Sourit. Il sort dans le jardin et, longe la façade en s’interrogeant sur la possibilité d’une non-pensée, remâchant un très ancien dialogue « vous n’y pensez pas sérieusement » « je ne pense pas du tout ». Passées les portes fenêtres de la grande pièce il tourne dans l’allée de cailloux moussus qui va vers le portail sur la place et entre dans le parfum du thym et des herbes en fleurs. S’efface l’amusement de sa rumination. Ne reste que le constat : chercher cette non-pensée lui a fait négliger tout regard sur la bordure de fleurs civilisées imposée par Marie-Jeanne. Il soulève pour la forme et pour le rite le petit pot de terre cuite retourné à côté du seuil de la cuisine, ne trouve pas de clé, pousse la porte ouverte, entre. Ses mains prennent le pouvoir, allument la radio, baissent le son presque jusqu’à l’inaudible, massent sa nuque, saisissent la chaudière de la cafetière, la remplissent. Il vérifie le niveau, la pose sur le plan de travail, sort le paquet de café du réfrigérateur, choisit le plus petit des moulins, verse les grains, se tient sur le seuil de la porte et laisse une ébauche de rêverie s’installer en tournant la manivelle. Le mot « incontestablement » le fait sursauter et rentrer en grommelant, verser la mouture dans le filtre, visser la partie haute de la cafetière, la poser sur la plaque, allumer, tout en continuant à opposer des mots sitôt oubliés au discours de la radio. Le bras levé attrape le pain sur la claie, le pose sur la planche. Au moment où il commence à en couper une tranche, une petite toux, un froissement d’étoffe suspendent son geste. Ah oui, le jour de la femme de ménage. Il sort deux tasses, redresse ses épaules.
Tout est dans l’inaudible, et c’est « vrai » (le nombre de fois où on remâche « un très ancien dialogue » et on ne sait pas comment dire ce qui se passe, mais tu sais le dire ici).
merci pour ta fidélité Christine