C’est ici que je l’ai vu… Augustine fixe le chêne accoté à la cabane, se retient au bras de Camille, insufflant une légère pression sur la peau. Amusée, Camille attend la suite de l’histoire, comme enfant elle attendait la lecture avant de s’endormir. Là exactement… De son index elle indique les fougères. Une pluie fine pointillait les herbes. Elle secoue la tête, frictionne ses bras jusqu’aux épaules. Camille lui demande si elle a froid. Oui, c’était l’hiver, aux alentours de Noël. Il avait peur. Moi aussi j’avais peur. Je l’ai pris pour un voleur de poule et puis… Camille enroule des mèches de cheveux autour de ses doigts. Augustine ne la regarde pas, elle regarde une pierre. Elle dit : J’ai saisi cette pierre. Celle qui luit. Tu comprends, j’avais peur et Marcel était plus loin dans le champ. Qu’est-ce que j’aurais pu faire… Sa voix se voile, avalant la fin de la phrase. Leurs mains se serrent, l’une, l’autre, chaudes et caressantes. Camille se tourne vers elle. Elle pensait qu’elle inventait une histoire pour la garder près d’elle plus longtemps, heureuse de cette promenade. Il lui semble soudain qu’autre chose se raconte. Il était sans manteau, le regard effrayé, le poing serré, tu vois, comme ça, elle referme sa main, en fait jaillir des veines bleutées, et des écorchures sur les bras, du sang sur son pantalon, et le froid. Il faisait si froid. Il avait un regard bleu, aussi bleus que celui de Marcel. J’ai reculé. Je savais ce qu’il fuyait. Tu es trop jeune, trop jeune pour comprendre. Rentrons. Camille dit non, dit qu’elle veut comprendre. Elle croyait à l’histoire du vol de poule mais maintenant elle ne reconnaît plus le vrai de l’inventé. Augustine tente de sourire. C’était la guerre. On n’en a jamais parlé à personne. Alors elle raconte les battements de cœur, violents, la pénombre du crépuscule qui enveloppe le tracé du jardin, la menace rôdant derrière les murs d’enceinte, derrière les fenêtres des voisins, Marcel accourant vers eux, une veste chaude et un chapeau dans les bras, les tendant à l’homme, échangeant quelques mots et l’homme disparaissant en direction du jardin de Madeleine. Sa bouche se tait soudain, les sillons poudrés de ses joues piquées de fraicheur s’affaissent épuisées de tous ces mots. Il faut que quelqu’un garde la mémoire Camille, la mémoire de ce temps-là. Elle chuchote : rentrons maintenant.