Classement approximatif, souvent en fonction de la place disponible dans le carton le plus porche davantage qu’un rangement rationnel et réfléchi. Sur la dernière boîte, une sorte d’homogénéité, pas de date ni de lieu, mais photos oiseaux N&B. N&B, avec cette esperluette dont tu aimes autant le nom que la forme, comme un nœud marin pour relier les extrêmes, le noir et le blanc, pour ficeler tous les gris qui peuvent naître entre eux deux. Photos d’oiseaux, compléments du dessin, documents de travail, travail sur la photo elle-même aussi, avec, sur certaines, des zones délimitées et hachurées en rouge, des notes, des chiffres avec des + et des -, curiosité pour le travail de tirage, le développement, la chimie des sels d’argent. Marthe t’en a parlé de cette période. John habitait déjà loin, mais il revenait encore souvent et leur montrait à Jacques et à elle ses photos développées dans un club où il avait accès à tout le matériel nécessaire. Il racontait les cuvettes de différentes couleurs et les bains qui sentaient fort, la lampe rouge, l’agrandisseur, sa colonne à crémaillère et la minuterie, l’image qui apparait, qui surprend, enchante ou déçoit. Ensuite venaient les discussions sur les corrections à faire pour améliorer les images, plus de contraste ici, allonger le temps de pose sur le reste pour faire ressortir telle partie de l’oiseau, masquer une branche trop présente. Pour retoucher une photo, le principe n’a pas changé, seule la mise en œuvre a évolué entre l’écran d’ordinateur et les masquages sous l’agrandisseur. L’important reste toujours le coup d’œil et le coup de main. Les petits trucs qui changent tout. Marthe s’y était intéressée, elle aussi, elle avait installé un labo dans un placard construit exprès dans le large couloir pour faire les tirages papiers, juste en face de la salle de bain qui servait pour le développement des négatifs et pour tous les rinçages. Elle avait beaucoup échangé avec John à cette période-là, de longues lettres sur la technique, la chimie, les petits trucs qui changent le tirage final et font les dégradés plus subtils et plus doux, les contrastes mieux dosés. Souvent des lettres de plusieurs feuilles avec son écriture à lui, si régulière et belle, une attention à chaque signe déposé sur la feuille, une mise en page soignée avec des petits croquis pour expliquer au mieux et toujours un beau timbre. Ces lettres Marthe les a aussi gardées, dans un autre carton, elle t’a laissée les photographier et tu ouvres les fichiers un à un sur ton ordinateur, depuis le carré du bateau posé dans le jardin, ton nid, ton atelier pour tout reconstruire, pour apprendre par toi-même tout ce qu’il n’a pas eu le temps de te conter de lui