Avant de le connaître, lui, dans tes pensées à toi, le noyer était un bois, sans plus de réflexion sur l’avant de ce bois, avant la menuiserie, avant même la scierie, avant la tronçonneuse. Un beau bois, dur et sombre, souvent veiné de gris, un bois noble, qui ne se laissait pas travailler n’importe comment, durablement blessé d’un papier verre grossier, d’un ciseau émoussé, d’une scie mal affutée, mais qui renaissais sous l’huile et les soins attentifs. Un bois plein de souvenirs. Souvenirs du toucher des portes du placard de la grande pièce à vivre, celle qui était posée au-dessus du four à pain dans la vieille maison. Depuis que tu es venue là, tu sais l’avant du bois, le noyer encore arbre, en odeur et en goût. En couleur aussi. La première fois c’était pour ramasser les noix, pour donner un coup de main, se dire que rien de grave, ça partira surement cette couleur franche d’automne, de feuilles mortes, de brou. Et puis de voir que non, ça ne partira pas tant que la peau tiendra. Rencontre avec le brou, son petit caractère, ses avantages aussi. Les noix décortiquées et puis mises à sécher, ramasser les bogues vides, les faire tremper dans l’eau, en faire un liquide brun qui teinte et cette fois-ci, ce sera volontairement, l’odeur et la couleur. (Une odeur, son odeur, une de plus que tu ne sais pas décrire sans dire son nom précis. Un chapitre à creuser, du nez et puis des mots, pour mieux faire lire, les odeurs, les parfums, remugles et puanteurs, les yeux remplaceraient le nez…). À ce moment-là, la noix a encore une coquille humide, d’une couleur intrigante, à mi-chemin entre translucide et opaque, elle semblerait presque molle, même si il n’en est rien, mais on les voit rarement de cette couleur-là, un moment éphémère dans la vie de la noix, tout comme le goût de la noix encore fraiche, encore tendre, hésitante, elle aussi encore avec cette texture un peu molle et ce goût si spécial (Ici aussi, du boulot sur les mots qui disent les goûts et les textures…). Pendant que les mâchoires pensives donnent à lire aux papilles, regarder vers le haut, enfin l’arbre pour lui-même. Tout est dans l’équilibre. Même penché il tient bon, même si on ne les voit pas, on sait les racines longues qui s’enfoncent dans le sol, ne restent pas en surface, n’hésitent pas à plonger, malgré tous les obstacles, de pierres voire de rochers, le dessus, le dessous, deux mondes symétriques, un tronc, puis branches et feuilles et une racine pivotante, puis racines, radicelles. Un parfait maître zen, la force et l’équilibre. Dans le monde du visible, une écorce rugueuse sans être crevassée, des branches qui s’étendent, se divisent tranquillement, en hommage aux fractales, un arbre qui prend son temps, qui s’installe, et s’adapte, mais reste dans ses lignes, un grand sage apaisant. Ce noyer-là, tu le connaissais bien avant de le voir pour de vrai. Lorsque Jacques insistait pour qu’il fasse autre chose que toujours des oiseaux, John dessinait des arbres, surtout cet arbre-là, le noyer du virage. Toujours lui, toujours le même arbre, celui qui marquait l’entrée dans le royaume du dessin, juste au coin du chemin, toujours le même noyer, vu de dessous, vu du chemin avant le tournant, après le tournant, depuis la grosse fourche où il s’installait confortablement, avec son cahier et son crayon qu’il transportait dans son sac à dos pour grimper jusque-là, toujours le même noyer, avec feuilles et sans feuilles, avec les bourgeons du printemps ou les noix de l’automne. Toujours le même noyer, le noyer de John avec son nom de noyer si lourd de double sens
Codicille : Quelques notes en italique et entre parenthèse dans le corps du texte, pour moi lorsque les textes feront histoire ou pour l'auteur inventée à la #01, à voir...
Comme onze voit ton noyer, on sent le gout des noix fraiches,(excellentes dans le café! ;-), le maitre zen, qu’on finit par confondre avec John dans la dernière phrase. Et c’est bien, merci!
Merci pour lui, enfin pour eux, John et le noyer 😉
Et pour une fois respect de la consigne à la Stephen King : le noyer se retrouve dans presque tous les ateliers !
Top!
goût, odeur, texture, couleur, texte sensible et cette notation : un arbre pour entrer au royaume du dessin. C’ets beau.
Merci
Un bel arbre le noyer, surtout celui-là, il est juste devant la porte de chez moi, je lui devais bien un texte, même si de mon côté il inspire davantage l’écriture que le dessin !