Il y aura toujours un terrain vague dans ta tête. Toujours. Dans chaque ville quelle qu’elle soit, un terrain vague. Même en plein centre-ville. Ou un bosquet, un champ, un bout de ruisseau. Même petit, même minuscule. Un lieu un peu sauvage. Avec de hautes herbes, quelques arbres, un buisson. Un refuge qui serait comme une cabane de ville, un espace de retrait. Qui n’appartiendrait à personne sinon à celui où celle qui l’habite le temps de son passage. Un lieu où on sent qu’on peut être soi loin des autres et des règles. Un endroit où se coucher à même le sol. Où s’asseoir et manger ses tartines, lire un livre. Où retrouver l’odeur. Celle de la pluie sur les feuilles. Où retrouver le son doux. Celui du vent dans les graminés. Ou alors un chantier. Il y aura toujours un chantier dans ta tête. Quelque soit le lieu ; la ville ou ses alentours, la province. Une maison, un tunnel, un métro, une usine, un grand-magasin. En chantier. Chantier ouvert sans barrière. Où l’on peut se promener à sa guise. Un lieu en construction en devenir. Qui n’existe pas encore. Qui semble n’appartenir à personne. Un non-lieu sans affectation précise. Aux potentiels presqu’illimitées. Ou alors un bâtiment désaffecté. Un bâtiment désaffecté aussi, il y en aura toujours un dans chaque ville. Vieux manoir, hangar branlant, école ancienne aux murs écroulés. Lieux dont la foisonnance de la vie passée émane encore au travers d’ objets abandonnés, délaissés ; traces, indices. Lieu en déliquescence, en lambeaux. Comme de la peau arrachée. Tous ces lieux qui t’habitent, te hantent, t’accompagnent où que tu sois et ailles, comme des grottes, des antres, catacombe intérieur, caverne. La ville en toi, à l’intérieur de toi. Le chant d’un portique rouillé dont l’unique balançoire grince dans la nuit, l’échange de regard avec un renard traversant une rue sur un passage piéton, le balancement lourd d’un lampadaire public qui grésille, dans un parc, l’étonnement face à la prolifération d’entrées de terriers; lapins, renards, fouines, l’opiniâtreté de l’herbe qui aura poussé entre les rails de tram, le plaisir de trouver une barrière aux tôles disjointes laissant apparaître un peu d’eau, un vieux marécage. Tous ces signes qui laissent à ton corps l’espoir qu’il reste encore dans la ville quelques bribes d’incôntrolé, d’imprécis, d’inattendu. Des espaces d’errances et d’aventures. Dans ta tête, ces lieux t’accompagnent, dans tes yeux aussi. Tu charges les paysages urbains de passerelles de cordes qui relient les toits entre eux, tu dessines au sol des chemins de bêtes à suivre. Tu regardes le ciel et ses nuages changeants comme si c’était des paysages, de vastes jardins dans lesquels se promener.
Il y a des villes où cela existe encore, de plus en plus rares. Désormais les barrières, les interdits… ne laissent plus cette place, me semble-t-il. Meric quand même pour ce beau texte.
Merci à toi pour cette réflexion. Mais oui tu as raison, tout ça a changé terriblement. Tous ces lieux en perdition qui faisaient notre bonheur, qui faisaient de nous des aventurier.e.s de la ville ont été sécurisés. Ca me questionne beaucoup, presque sans cesse ces villes qui se sont tellement sécurisées qu’elles sont (en apparence en tout cas) presqu’uniquement dévolues à la consommation. Mais en même temps, c’est peut-être moins apparent qu’avant, il existe encore beaucoup de lieux à découvrir. Ce n’est peut-être plus les mêmes (chantiers ou maisons abandonnées) mais il en existe encore. C’est aussi à nous d’inventer d’autres façons de s’approprier la ville je pense. Même si le comment ne nous tombe pas si facilement dans les mains.
Il faut se battre pour se réapproprier l’espace urbain. Que la ville soit une cabane pour chacun.e de nous. Il faut.
très beau texte oui merci. je trouve des mots pour mon goût des chantiers, la photo que je suis alors toujours tentée de prendre. tout ce qui fait rupture dans une continuité sinon lisse, tout par où s’écrit le travail de l’homme, manuel aussi, les bacs à sable ou les plages, les châteaux bientôt repris par la mer,…
« Tous ces signes qui laissent à ton corps l’espoir qu’il reste encore dans la ville quelques bribes d’incôntrolé, d’imprécis, d’inattendu. Des espaces d’errances et d’aventures. Dans ta tête, ces lieux t’accompagnent, dans tes yeux aussi. Tu charges les paysages urbains de passerelles de cordes qui relient les toits entre eux, tu dessines au sol des chemins de bêtes à suivre. Tu regardes le ciel et ses nuages changeants comme si c’était des paysages, de vastes jardins dans lesquels se promener. »
C’est beau ce que tu écris. Et j’aime bien que tu parles de photo que tu es tentée de prendre. Pourquoi ? Et à quoi servira cette photo ? Ou ira-t-elle ?