C’est une pièce oubliée. Ça parait étrange, cette nouvelle pièce dans mon minuscule appartement. Mais elle est bel et bien là, en prolongement de l’entrée tapissée de végétation sombre. Une porte à peine visible découvre une pièce parallèle au couloir, dont la surface à la géométrie étrange, semble se déployer. Contrairement au couloir sombre et daté, elle semble récemment aménagée avec des meubles modernes et blancs. Tout est blanc d’ailleurs, très aéré. Des fenêtres grandes ouvertes laissent entrer un vent frais, qui fait danser les frêles rideaux de lin clair. L’espace y est limité, pourtant c’est comme si le passage du vent élargissait la surface. Après quelques mètres d’un couloir étroit, la pièce s’agrandit pour laisser la place à un bureau de bois clair. Derrière lui, une cheminée factice me servirait à déposer mes livres. Je tâte les murs nus et songe immédiatement y installer une petite bibliothèque. Je la remplirais de Koltès et Toussaint, Modiano et Pétrarque, Milène Tournier et Laura Vazquez. Je n’aurais qu’à me pencher en arrière sur le dossier de ma chaise pour attraper le volume qui m’intéresse. J’aurais là, à portée de main, le temps, l’espace, la solitude et le vent. Ce serait ma chambre à moi.
Les fenêtres recouvrent le mur principal et connectent l’appartement avec ceux de mes voisins. Le soleil au zénith, je reconnais les bruits de différents voisins, les voix, la vaisselle qu’on range, une radio plus loin. En haut du mur principal, une longue fenêtre rectangulaire, comme celles que l’on voit dans les autobus et qu’on peut ouvrir en basculant la vitre vers l’extérieur pour avoir un peu d’air. J’entends aussi les pigeons qui roucoulent. Ils se posent souvent sur la gouttière, sur le rebord du toit. Et depuis ma nouvelle chambre, j’entends leurs gloussements, leurs battements d’ailes qui se cognent contre la vitre alors qu’ils essayent de pénétrer à l’intérieur. Je monte sur un tabouret et les bras en l’air, j’essaye de bloquer l’ouverture d’un immense coussin que j’ai du mal à tenir de mes deux mains. Il est bien trop gros et moelleux pour entrer dans la fenêtre, pourtant cela ne bloque pas le passage des pigeons. Et bientôt, j’abandonne ce beau projet aux oiseaux.
Quel beau texte ! J’adore les histoires de pièces oubliées, dérobées, qui agrandissent les appartements et les rêves