alors qu’on regarde les photos prises par la mère avec son Nikon argentique FM2 alors qu’on découvre peu à peu les négatifs noir et blanc qu’on scanne un à un et transfert numériquement en positifs on ne peut s’empêcher de constater que la plupart des photos sont des photos de la fille on ne trouve presque pas de photos du fils ou du père pas de fêtes de famille quasiment rien que la fille comme si c’était sa propre image qu’elle cherchait à interroger à travers l’enfant sa propre enfance qu’elle questionnait puisque toutes les deux se ressemblent si fort physiquement si fort et que la mère est orpheline et qu’ayant passé tant de temps hors de sa famille dans des sanatoriums pour cause de santé fragile elle a peut-être l’impression que son enfance s’est perdue envolée dissipée effacée quelque part là-bas au bord de la mer puisque dans son pays sans montagne c’est à la mer qu’on envoie les enfants malades malingres alors photographier été après été une petite fille qui pourrait presqu’être elle c’est peut-être tenter de se retrouver de se rassembler physiquement en elle afin de se sentir une en elle mais ce qui surprend au-delà de cette quasi obsession à photographier la petite fille un été après l’autre puisqu’on dirait que la mère ne sort son appareil que pendant les vacances d’été c’est la récurrence d’une image d’une même figure cette figure qui revient au fil des années alors que la mère fait des photos dont elle organise de plus en plus souvent les poses on retrouve cette même image presqu’identique malgré les années qui passent et le corps le visage de l’enfant qui changent peu à peu une petite fille assise ou debout regardant de face une fleur à la main fleur qu’elle tend vers l’objectif on ne peut s’empêcher de se demander que représente cette figure pour la mère que lui raconte-t-elle en quoi cette image lui parle-t-elle tant qu’elle la reproduise presqu’à l’identique année après année est-ce que c’est d’elle-même de sa propre enfance qu’elle lui parle ou peut-être c’est d’une autre petite fille qu’elle a rêvé d’être et à qui on se demande à qui est destinée la fleur à la mère elle-même ou à la spectatrice le spectateur qui regarderont la photo accrochée un jour au mur et aussi la mère cherche-t-elle a composer un portrait universel que l’Histoire nommerait la petite fille à la fleur parce que enfin où cette image cette figure cette allégorie presque va-t-elle puiser sa source on se demande existe-t-il dans l’histoire de l’art dans la peinture ancienne un courant précis ou alors des tableaux emblématiques de filles de femmes portant une fleur existe-t-il dans l’histoire de l’art ou même dans l’inconscient collectif une image qui nous habite tous et toutes où une fille une jeune fille porte à la main une fleur la mère ne doit pas être particulièrement concernée par cette photo pour autant bien sûr qu’elle la connaisse mais cette photo a fait le tour du monde le portrait de Marc Riboud portrait de 1967 où une jeune lycéenne américaine de 17 ans durant une manifestation contre la guerre du Vietnam à Washinton D C brave les soldats fusil à baïonnette à la main armée d’une fleur cette photo qu’on a baptisé la jeune fille à la fleur même si son véritable titre est la confrontation suprême la fleur et la baïonnette mais la mère s’intéresse-t-elle à la guerre au Vietnam aux manifestations pacifistes au mouvement Flower power la mère à cette période de sa vie est professeure de morale même si elle a étudié l’histoire mais ici elle ce n’est pas d’un fusil qu’elle est armée mais d’un Nikon Fm2 et ce qu’elle pointe vers la petite fille et sa fleur c’est un gros oeil rond et aveugle c’est l’objectif de son appareil photo c’est ça qu’elle pointe vers la petite fille une machine à faire des photos