Une mousse brune pousse en mottes disjointes sur la partie supérieure du verre, bien loin du sol, comme soufflée aux hasards des vents. Elle grignote peu à peu la transparence minérale. Invisible, elle se propage sans jamais retourner à la terre noire et fertile à qui elle doit son brun teinté de vert. Les spores se détachent, légères, depuis la coiffe des minuscules tiges toutes entortillées en spirale en un invisible nuage. Le tapis végétal s’enracine à la surface supérieure du verre. (Après une averse, il doit se gonfler, gorgé d’eau aussi lourd qu’une éponge… vert humide ?) Les plaques de verre (de la superficie d’une main ?) ont une surface finement grainée et sont traversés de fins fils métalliques entrecroisés presque invisibles à l’œil nu afin de les solidifier (ce qui leur autorise une épaisseur négligeable au vu du poids de la mousse). Elles se chevauchent en pente douce et inclinée vers le sol (le tout est étudié pour rendre l’ensemble étanche et résistant aux intempéries). La mousse pousse au nord. Du côté de la façade où se trouve la porte d’entrée. La marquise garde à l’abri l’espace situé devant la porte d’entrée. Seuls ses carreaux les plus éloignés de la façade bénéficient d’un bon ensoleillement. Le mur de pierre ne leur procure que très peu d’ombre (ou alors juste les mois d’hivers quand les jours sont courts et le soleil rasant). Cette partie de la marquise (la plus éloignée du mur, et qui comprend approximativement un peu moins de la moitié de sa superficie) n’a pas à souffrir de la croissance de la mousse (ou alors par toutes petites touches jaunes brûlées s’éloignant de la fraîcheur du vert et plus proches du lichen). Le tapis soyeux qui couvre l’autre moitié (proche façade) cherche l’ombre. Les tiges sont toutes inclinées (comme brossées par le vent qui cogne la façade) La mousse ne s’aventure pas pour autant sur le mur de pierre au crépi beige et propre (récemment rafraîchi ?) La démarcation vert/ beige est nette (une ligne franche). Les carreaux de la marquise sont colorés de teintes vives au dessin abstrait (Type art déco ?) Des montants en acier (fer ou cuivre ?), renforcés de traverses horizontales, supportent le poids des carreaux. Ils sont solidement fixés à la façade, à égale distance de la porte d’entrée (elle-même rehaussée du sol par quelques marches moussues), puis s’élèvent pour épouser en une solide courbe la structure de carreaux de verre. Les traverses piquées de rouille sont plates et horizontales Plus fines que les montants cylindriques et repeints de noir (concomitamment à la réfection de la façade ?). À leur extrémité : une feuille sculptée dans le métal (soit deux feuilles de part et d’autre de la porte). Leurs pointes recourbées touchent presque le crépi. Le travail de l’acier est remarquable, les feuilles rigides peuvent être aisément comparées aux feuilles orange finement nervurées qui jonchent le sol alentour dans le petit jardin au pied des escaliers. Une courte allée pavée sépare deux carrés symétriques d’herbe sèche et jaunie. Dans celui de droite pousse un vieux noyer au tronc torturé de nœuds. Ses branches sont presque nues. Le carré de gauche est parsemé de feuilles cassantes (la pelouse sèche se devine plus qu’elle se voit. Est-elle encore jaune ?). Une fine bordure (en ardoise ?) délimite une plate-bande qui borde toute la façade au nord. Elle est plantée de diverses fleurs tulipes, jacinthes, narcisses, iris et autres plantes non vivaces, véritable explosion de couleurs sur fond beige (imaginer la floraison?). Leurs bulbes dorment dans la terre brune des plates-bandes. Seul un tronc également dépourvu de feuilles (rosier grimpant? Glycine) s’élance à la verticale de la façade. À gauche de la porte d’entrée. Ses branches forment des empreintes sur la peinture beige (comme un calque ou négatif d’un blanc moins soutenu que le beige du crépi). La ligne du tronc sec (aussi noueux ? Peut-être aussi vieux ? que le noyer) est d’un calibre bien supérieur aux cylindres d’acier fixé au mur et serpente jusqu’à la marquise. Ce négatif des branches fleuries de fleurs bleues (ou blanches? ou rouges) prolonge le tronc sur la façade en ramifications d’une couleur oscillante entre le blanc crème (beaucoup plus clair que le beige) et le brun (brou de noix ?) bien plus foncée que la couleur du crépi. Elle dessine une carte aux lignes plus ou moins claires que la façade (selon la distance ? Le temps ? Le point de vue ?). Quelques brindilles courtes sont encore enroulées autour des montants (elle doit s’agripper à la marquise, la recouvre-t-elle ?). Sous l’abri devant la porte d’entrée, la lumière est jaune d’or. Le soleil est à l’ouest. Les rayons qui traversent les carreaux rouges prennent une douce teinte rose.
J’aime beaucoup cette étrangeté où à de très riches précisions suivent des interrogations souvent simples. L’objet est ciselé puis, en une parenthèse, devient assez imprécis. Ça joue sur la distance du lecteur qui voit l’objet très précisément puis perd d’un coup la mise au point. C’est comme ça que je lis ton texte. Et j’aime.
Merci Jean Luc! Oui, c’est bien ce que j’ai voulu faire. Partir sur un détail puis rajouter du flou, de l’étrange autour…