Automobiles et cycles rougeoyaient à la lumière de la lampe à pétrole. Grande police sans empattements, haute et resserrée, ce titre se superposait à la voie lactée. Dans l’obscurité, deux femmes habillées de robes tombant à mi-mollet et de chemises claires regardaient un volcan en éruption. L’incandescence de ses projections de lave éclairait le profil de l’une d’elles et découpait la silhouette de l’autre. Elles portaient de larges chapeaux, des voilettes. Leurs tailles étaient mises en valeur par une ceinture. Elles tenaient leur bicyclette sur leur droite d’une main et chacune un lampion de l’autre, l’un à moitié caché. Entre elles et le lointain volcan, une voiture conduite par un homme traversait l’affiche de travers, sans aucun feu, ombre dans l’obscurité, casquette et visage légèrement tournés vers le magma en ébullition. La réclame était pour la marque Clément. D’autres affiches ornaient le mur dont de nombreuses publicités de marques anglaises un peu jaunies : on y distinguait Humber, Rudge, Thomas et Bayliss, Starley, même les ressorts de la British Star de l’époque des glorieux débuts de l’atelier. En dessous, un meuble en bois accueillait de nombreuses cartes et guides, rangés dans des petites caisses, des documents techniques et des catalogues poussiéreux empilés les uns sur les autres. Une baie vitrée au plafond donnait un peu de lumière à la pièce, malgré la présence des hauts murs gris entourant la petite cour intérieure de l’immeuble et les fumées constantes de la ville-usine. À côté des cartes trônaient un pied de dévoilage de roue et le début d’un enchevêtrement de pièces dont de nombreux whippets, des notes de papier, et au milieu de l’estrade quelques machines particulières comme un pedersen avec sa selle hamac, une lévocyclette, une touricyclette, ce qui occupait tout l’étage jusqu’à un bureau très simple, une table en bois et une chaise. Sur la table, un des deux profils Dolin ouvert et annoté. Un lit de camp était lui replié contre une commode. Un établi et ses outils longeaient le plus long des murs. De l’autre côté, une balustrade donnait à voir en mezzanine le rez-de-chaussée de l’atelier, avec des machines-outils plus imposantes, reliées par des courroies à un axe moteur. Un système de câbles métalliques permettait pour gagner de la place de suspendre des roues de toutes tailles, des couronnes dentées et les pneumatiques. Des guêtres contre la pluie séchaient sur la rampe. En se penchant sur la balustrade, on pouvait distinguer dans un coin un tas de ferraille. En y attardant le regard, le cadre d’un vénérable sociable et ses gigantesques roues concurrençaient presque la hauteur d’un penny-farthing. Un vélocipède Michaux en fer forgé était aussi présent. Des toiles d’araignées se donnaient à cœur joie entre les rayons ou les tubes d’acier. La rouille quand elle apparaissait n’était elle que superficielle. Il suffisait de piocher dans cet amas pour y trouver une machine susceptible de reprendre la route. Les machines en état de marche étaient alignées près de l’entrée. Flottante, bichaîne, rétrodirecte, whippet, tous les systèmes de polymultipliées se côtoyaient, de la randonneuse de route la plus épurée au carrosse de gala. Ce capharnaüm était digne d’un musée dont le contenu n’aurait jamais été complètement inutilisable. Les deux étages étaient reliés par un escalier droit, sans rambarde. De nombreuses couronnes et des garde-boue étaient suspendus à des clous sur son flanc. On pouvait sentir une odeur particulière, mélange d’huile et de graisse mécaniques, de caoutchouc, de boiseries de charpente.