Elle est nue.
Etendue sur le dos de tout son long sur le lit au drap blanc dont elle a jeté la couette sur le sol gris bitumé, elle se réveille. Odeurs de la nuit. Mélange de sueur sous les aisselles et du sexe un peu mouillé. Son corps de chair, pas lavé, imprégné de l’odeur des rêves. Senteur douce amère sur chaque parcelle de la peau, son corps couleur blanc crème sur le drap à la couleur blanche éclatante, odeur du drap, légèrement humidifié de ce que le corps a déposé, ses deux jambes écartées, en direction des bords opposés, là où ses pieds tombent dans le vide. Elle concentre toute sa force dans sa posture, les muscles de ses jambes s’étirent, tremblantes, et lentement, elle allonge ses bras en croix, attrape les bords du lit qu’elle maintient longuement puis le lâche, d’un coup, d’un souffle, sans une pensée. Effluves de l’effort qui transparaissent sur les murs, laissent traces de son passage, comme une chienne sur son territoire. Elle pue. Et, lentement, son corps écartelé se dégonfle, se recroqueville et se retrouve, les mains attrapent les bras, les bras caressent le torse, les pieds se frottent, les jambes se mélangent, la tête touche les genoux, le corps se referme, lourd, respirant, détendu. Peau contre peau, goutte contre goutte, elle reste là, en boule, à s’imprégner d’elle-même, de ses seins, de son ventre, de son vagin. Multitude de parfums, qui se mélangent, dans l’espace restreint de son étreinte. Et doucement, le corps se retourne, le ventre glisse sur le drap, les seins s’écrasent sur le matelas, la joue gauche épouse les contours, ses jambes s’étirent, ses bras agrippent, ses fesses se dévoilent, dos au plafond, elle tend puis elle relâche, elle tend puis elle relâche, elle tend puis relâche. Et les odeurs s’envolent, fines particules, du corps, pas lavé, à peine réveillé, mélangées au n°5 de Chanel, déposé la veille.
Elle est debout, mi-nue.
Le visage face au miroir dans la salle de bain exigüe et humide, du rance et du renfermé, le miroir, renvoyant son reflet. Son corps est légèrement penché au dessus du lavabo blanc ovale de faïence, les pieds ancrés au sol, les jambes droites, le torse en avant, froid la faïence, le visage à quelques centimètres de la glace, elle se regarde. Elle soulève un bras et hume cet indéfinissable qui raconte ce qu’elle vit. Puis, de sa main gauche, elle ouvre un robinet et laisse couler l’eau qui gicle sur les côtés, elle pousse son corps en arrière, courbe le dos, penche son buste et de ses deux mains, attrape l’eau pour s’asperger les yeux, les joues, le cou, les aisselles et les seins. Elle se penche et se redresse, se penche et se redresse, attrape le savon au lait de coco, évoquant les îles et le paradis mais, qui sur la peau, est sucré, presque écoeurant, eau, savon et prend la serviette pour se sécher. Elle contemple dans le miroir sur son corps couleur chair blanc crème, ses bras, ses seins, son torse, son visage et les gouttes qui disparaissent.
Elle est assise, vêtue.
Sur une chaise grise pareille au sol triste face à une table blanche plastique devant un ordinateur ouvert à l’écran lumineux, ses doigts tapotant le clavier, son regard rivé sur les mots, puis, tourné sur un cahier rouge posé sur le coin gauche empli d’écriture et de ratures, elle écrit. Son corps sent le propre. Son dos droit qu’elle dresse, ses pieds à plat, ses fesses sur le bord, ses jambes un peu écartées, et parfois, sa colonne vertébrale s’affaisse, son corps tombe dans le creux, sa tête tourne sur elle-même, puis elle s’aligne de nouveau dans la rectitude du dos et seul ses bâillements et les grondements de ses intestins lui font comprendre qu’il lui faut prendre une pause. Elle se lève, ouvre la fenêtre, odeurs de l’herbe mouillée et de la route nationale, essence et fumier, ouvre le frigidaire, aspire le frais, introduit son bras dans les étagères, s’empare d’un yaourt, un bout de fromage, referme, va au placard, saisit une biscotte, ouvre un tiroir, prend un couteau, une cuillère. Elle pose le tout près de l’évier, tartine, fromage, enlève le couvercle du yaourt, en respire l’odeur de la peau de bébé qui s’en dégage et mange debout.
L’odeur du corps, je pense que c’est ce que voulais François avec cette proposition. C’est réussi 🙂
Merci beaucoup Gilda, à mon tour de vous découvrir.
voyage à travers les odeurs de ton corps au réveil… on éprouve fort l’intime et l’intimité…
Oui c’est fou comment la proposition peut pousser la précédente. J’en reste toujours étonnée. Merci pour ton mot et toujours ta lecture. Bon dimanche.
J’ai vu avant de lire : le gras ajouté dans le texte m’a permis d’écrire le mien (merci merci). Puis j’ai lu : les inserts renforcent le texte initial, le nuance, le rend implacable pour le personnage, lui donne une lucidité sensuelle. Trois scènes d’un film. Bravo
Merci Isabelle, c’est chouette d’avoir vu des scènes de film, comme être l’oeil de la caméra. Cela me touche beaucoup. A bientôt.
Merci, c’est ce que j’aurais voulu faire sans y parvenir faute de temps et de patience. Heureuse de le lire ici.
Encore merci pour ton regard Marion.
« l’odeur des rêves », j’adore.
Intéressant cette idée d’insérer les odeurs dans ton premier texte, mais celui-ci était si fort… As-tu essayer de ne garder que les parties en gras, pour voir ce que ça donne ?
Chère Laure, non je n’ai pas essayé mais je vais le faire – Oui, l’odeur des rêves m’est venu sans y penser, c’est fou comme l’écriture intervient sans que nous le voulions particulièrement. Bien à toi.
Tant mieux si j’ai pu te donner une idée. A bientôt j’espère
seigneur, combien ces odeurs manquaient et comme on ne le savait pas !
Merci Véronique pour ces mots que je reçois en plein coeur. Je m’en vais vous découvrir, bon dimanche.