Floranne travaille dans un cabinet d’expertise comptable, à longueur de journée un argent abstrait défile en colonnes devant ses yeux, des colonnes de nombres, des chiffres, des nombres longs de deux trois quatre ou dix chiffres, des euros, des milliers d’euros, des K euros et même des M euros. Elle les tape de la main droite sur son clavier avec une virtuosité dont elle est fière, à toute vitesse sans jamais regarder sa main, elle pointe, elle vérifie, elle aligne, elle classe, elle range les chiffres des euros dans les chiffres des comptes du plan comptable. Floranne aime ça les chiffres, elle aime quand ça tombe juste, elle traque le centime d’écart entre le débit et le crédit parce qu’un tout petit centime peut cacher une très grosse faute, un tout petit centime peut être causé par une erreur de six cent trente-deux mille quatre cent vingt-cinq euros et trente et un centimes au débit compensée par une autre erreur de six cent trente-deux mille quatre cent vingt-cinq euros et trente-deux centimes au crédit alors c’est plus un tout petit centime qu’on cherche là. Floranne jongle avec tous ces euros, elle aime les tas de factures disparates plus ou moins pliées qu’elle sort d’une enveloppe, parfois déchirées, tachées ou illisibles (elle se fait alors une joie de reconstituer leur montant, elle mène l’enquête), les relevés bancaires qu’elle remet dans l’ordre, tous ces éléments encore muets qu’elle va transformer en beaux chiffres organisés et signifiants qu’elle pourra ensuite analyser, faire parler, interpréter, elle pourra reconstituer l’histoire qu’ils racontent, les secrets parfois. Peut-être une ombre à ce tableau, le détail qu’elle doit s’efforcer d’ignorer, qui pourrait gâcher son plaisir, ces chiffres, ces nombres perdent parfois leur caractère abstrait pour se matérialiser très prosaïquement et pour insidieusement se comparer à la somme figurant au bas de sa fiche de paye.
Quelle fluidité ! Le personnage arrive, par sa passion et méticulosité, à nous faire aimer les chiffres.Très réussi, comme toujours !
Oui, très réussi, cette plongée vertigineuse dans les chiffres.