Le truc avec elle. C’était la question des finances. Pas forcément l’argent en soi. Mais l’idée de le dépenser. Il y en a bien sûr qui pensent. Que l’argent est fait pour donner du plaisir. Qu’il ne sert au fond qu’à ça. Mais il y en a d’autres. Qui songent irrémédiablement. Au moment où il n’y en aura plus. C’est angoissant de penser que l’argent peut disparaître. Juste comme ça. Elle se disait. Si on achète une chose. Et qu’elle reste. Alors on a donné le change. Mais ce qui disparaît. La nourriture par exemple. Quoi de plus idiot que de dépenser de l’argent en nourriture. Une fois qu’elle a été mangée, bue que reste-t-il ? Les regrets. A quoi bon vivre avec des regrets. Elle avait mis au point quelques techniques. Testées avec succès. Par exemple. La question du goûter. Bien sûr les enfants. Tous les enfants aiment prendre leur goûter l’après-midi. Surtout le dimanche. Manger de la tarte par exemple. De la tarte aux prunes ou aux abricots. Un gâteau au chocolat. Quel enfant ne réclame pas de la tarte aux prunes ou aux abricots. Bien sûr il y a le plaisir d’être ensemble, à table. Une forme de joie commune. Mais une tarte, ça s’engloutit tellement vite. Elle. Elle avait trouvé un truc. Elle montait dans sa voiture. Avec les enfants. Elle les amenait devant la pâtisserie. Elle les faisait sortir de la voiture. Un à un. Les alignait devant la vitrine. Elle leur demandait de choisir une pâtisserie. On se mettait d’accord. Puis au moment précis d’entrer dans le magasin elle disait. Oh finalement on s’en passera bien. Et tout le monde remontait dans la voiture. Et pas un kopeck n’était déboursé. Pourtant on avait eu du plaisir à regarder la tarte. On avait salivé. On en avait senti la texture sur la langue. Ensemble. Et aussi. Elle. Elle avait un autre truc. Pour les courses en grandes surfaces. Elle partait en fin d’après-midi. Pour le supermarché. Elle faisait le tour du magasin. Examinait les prix un à un. Puis sortait et se rendait dans un autre supermarché. Un peu loin. Elle comparait alors les prix de ce supermarché avec ceux du précédent. Une fois que c’était fait. Soit il était si tard qu’il fallait rentrer en catastrophe préparer le repas du soir (et tant pis si elle n’avait rien acheté). Soit. Soit elle embarquait tous les produits soldés pour vente rapide. Qu’on en ait besoin ou non. Et on se débrouillait bien. Parfois c’était de la mayonnaise. Parfois du cirage à chaussures. Mais il pouvait aussi arriver que ce soit du poisson. Et là, qu’est-ce qu’on se régalait. Encore un autre truc. De son invention. Les habits. Ce n’est pas rien quand on est mère de famille d’habiller toute une marmaille. Qu’est-ce que ça grandit vite. Sans compte les trous. Puis la mode qui change. Là aussi elle avait un truc. Elle entrait dans un magasin. Avec les enfants. La première chose à faire était de repérer un vêtement que son enfant n’aimerait pas. Et de s’extasier devant. Jusqu’à ce qu’il ou elle accepte de l’essayer. Si il ne lui plaisait pas c’était gagné. Si par malchance il finissait par lui plaire elle disait. On va faire un tour, réfléchir. ET tout bien réfléchi. On finissait par se dire que c’était vraiment une mauvais affaire. Il lui restait encore un dernier truc. La voiture. Rouler en voiture nécessitait d’y mettre de l’essence. Son truc à elle. En mettre le moins possible. Quel argent elle économisait en mettant si peu d’essence. Et son tout dernier truc c’était de ne pas payer ses factures. Quand elle recevait un coup de fil. De l’école, du club de gym, du propriétaire elle, elle mentait. Ostensiblement. Ah bon ? Vous n’avez rien reçu ? J’ai pourtant payé. Il y a un jour ou deux. Vous devriez avoir reçu l’argent sur votre compte à l’heure qu’il est. Ce qui lui laissait encore un peu de temps. Et tout le monde sait qu’au plus tard on paie une facture, au plus on économise d’argent. Tout cela, au fond, arrangeait bien le mari. Les finances étaient toujours au vert. Et il pouvait, à son aise, dépenser le reste en objets dénichés chez des brocanteurs. Il revenait toujours avec toutes sortes de babioles très jolies et en un sens parfaitement inutiles, qu’il installait dans la maison. Il aimait beaucoup cette maison. Pleine de fantaisie.
Brrrrr…..
Deux splendides cas de perversion narcissique qui n’ont pas traversé le stade anal Freudien dans le même sens.Ce qui est inquétant, c’est le pronostic de maîtrise sphinctérienne de la marmaille, entre constipation ( voire fécalome) et diarrhée… Vous vous êtes bien amusée en écrivant ce texte , et moi aussi en le lisant. Il m’a donné faim, tiens !
Votre analyse psychanalytique employant un jargon très spécifique m’a fait beaucoup rire. J’adore. Oui je me suis amusée en l’écrivant. C’est un humour un peu grinçant j’avoue mais j’aime beaucoup ça. J’adore ce genre de personnage décalé et absurde dont la logique se mord la queue.
Beaucoup aimé le rythme et l’humour de votre texte.
Merci ! Pas toujours facile de trouver en soi, de faire émerger ce rythme intérieur, cette mélodie, de trouver une façon musicale et décalée de raconter. C’est étonnant comme pour un texte ça arrive et d’autre fois…. je rame embourbée dans un style réalistico-psychologique.
J’ai trouvé cela à la fois drôle et terrifiant, j’ai essayé de mettre un visage à cette femme mais je n’y suis pas arrivée mais toutes les images sont si parlantes et cruelles à la fois. Je n’ai pas envie de la connaitre cette femme mais j’aime votre texte Sybille, merci et bonne nuit.
donc dépenser mais pas pour rien. dans une superbe ignorance des besoins primaires, du corps, les incontournables !
c’est très réussi, très drôle…
Merci ! Oui c’est un personnage auquel je commence sérieusement à m’attacher. Complexe et fragile. Retourné en lui-même comme un gant.