La petite rivière est claire, j’appuie sur l’obturateur. Une photo ratée du ponton en bois en face et son reflet dans l’eau. La photo est cramée. Dans le champ, il y a de l’agitation, toutes les vaches sont rassemblées derrière la haie. Il se passe quelque chose que Luis ne voit pas. Ce qui entraine les vaches dans cette direction et pourquoi, il ne le voit pas. Cela semble remuer derrière la grande haie. Il se grandit sur la pointe des pieds. Il y a du bruit, beaucoup de bruit, des beuglements, fort, il n’y a rien puis un camion recule, Margot en voit l’arrière et son haillon racle le sol, cela fait beaucoup de poussière. Non, on ne doit pas l’emmener. Ils vont la prendre. Cela se densifie, la caillouteuse roule, flou, net, devant, bâton, net, flou, la tête première, ombre dans l’herbe rase, net droit devant sans hésitation, bâton, flou, pierre trop grosse bute sur la corne avant, un pas en arrière, flou, coup, les mouches grossies, nuage et particule, pluie blanche, encore un coup, recul, net, charge, équilibre lourd. Luis fait le tour en continuant d’observer la scène. Ils emmènent la vache dans le camion. Dans la benne, elle remonte le chemin pierreux jusqu’à la route. Margot regarde aussi. La vache essaye de se retourner dans la benne, mais n’y parvient pas. Les autres vaches suivent le camion jusqu’à la route. Ils ont fait le tour. La vache est dans le camion. Margot ne voit que son museau et ses yeux terribles apeurés, terrorisés. Luis ne sait pas comment l’aider et passe au ralenti, il connait ce regard. Il l’a déjà vu enfant dans une arène en Espagne avant la mise à mort. Les piquets et la longue ligne de fil de fer, net au centre, tâche à distance qui remue contre les parois d’acier. Tous les yeux des autres vaches regardent dans cette direction. Margot se dit qu’elle n’y est pour rien, ne veut pas être ainsi dévisagée comme la coupable. Luis passe en pensant qu’il pourrait ouvrir le haillon et la libérer.