Douna – Ce n’est pas vrai, ce n’est pas possible. Ça n’a pas pu arriver, pas maintenant, pas encore ! C’était trop tôt dans notre relation, elle n’a pas pu partir alors que nous n’en étions qu’au début, et lorsqu’elle est venue à l’appartement à sa demande, la conversation avait glissé fluide, tendre, agréable, elle me laissait évoluer à l’aise autour d’elle, et confiante, je m’amusais à lui tourner autour, à me rapprocher d’elle, je la sentais plus sûre, heureuse, le courant était bien passé. Comment ça a pu arriver si brusquement ? Sa mort ? Pas ça non, c’est impossible, intolérable d’apprendre ça, triste savoir, pourquoi m’a-t-elle laissée si soudainement ? Pour la tester après notre entrevue, je lui avais opposé un silence radio, cruel je l’avoue, mais c’était juste par jeu. Je voulais jouer avec ses nerfs, son attente, créer le manque, la frustration qui la précipiterait vers moi irrépressiblement. Jamais je n’aurais imaginer qu’elle allait effectuer le grand saut dans le vide, craquer de toutes parts. Ce n’est pas ce que j’attendais. Je la voulais mienne, entièrement soumise, pas disparue. J’ai honte maintenant, de ne pas avoir agi, ne pas être passée à l’acte, croyant vraiment qu’il y aurait d’autres fois, des milliers d’autres fois et qu’il ne servait à rien de précipiter les choses, je voulais prendre mon temps avec elle, avant que du bon temps. C’était sans compter la faucheuse qui me la prendrait, alors que j’étais partie loin d’elle quelques jours, pensant revenir, la retrouver tout à moi, obéissante et à mes pieds. C’était sans compter sa mort qui me l’a confisquée à tout jamais. Cyl, je t’aimais, mais il est trop tard de le dire à un corps qui ne réagira plus à mes paroles qui retombent dans une non réponse et un silence assourdissant. J’aurais dû, j’aurais dû te prendre dans mes bras lorsque tu étais si près de moi. Te donner ce que tu attendais, ça se lisait sur tes lèvres. Maintenant, le silence radio c’est toi qui l’impose, et quand bien même j’aurais beau t’appeler, le son de ta voix ne résonnera plus que dans les rêves que je ferai de ta présence. Tu me manques, m’avais-tu écrit dernièrement. Désormais c’est à moi, à tous que tu manques Cyl. J’aurais tant voulu une aventure avec toi, et cet arrêt de mort siffle comme un fouet flagellant mon cœur blessé. Je voudrais refaire toute l’histoire, penser que tu es encore là pour t’aimer et te le dire, je suis estomaquée, sidérée par ton absence soudaine. Dis-moi que je rêve et que ce cauchemar va s’arrêter, que je vais te revoir, que tout va s’arranger. Mais tu restes de marbre désormais, je n’avais pas prévu. Je suis contrariée. Que vais-je faire maintenant sans toi ?
Nouch – Ce sont les journaux qui m’ont appris la nouvelle. Habituellement, je ne regarde que d’un oeil distrait la rubrique nécrologique, mais là, trois lettres m’ont arrêtée, interpellée, comme un cri poussé dans le silence de cet été caniculaire : son nom, Cyl. Alors c’était fini, son histoire s’arrêtait là. Cela faisait un certain temps que je n’avais plus de nouvelles de cette fille à l’intelligence retorse et tourmentée, dont j’avais suivi les recherches sur des années, qui voulait poursuivre une relation qui n’avait plus sa raison d’être, comme une dynamo mise en route et dont la marche tarde à s’apaiser. J’avais fais preuve de tact, de prudence à son égard, ne voulant pas la froisser, la blesser, car je la sentais fragile malgré le côté frondeur qu’elle voulait laisser paraître. Je savais que tôt ou tard la mécanique s’enraillerait, qu’elle allait craquer, tomber. Au départ, son sérieux, sa rigueur m’avait impressionnée. Toujours au premier rang, accrochée à sa feuille et à mes mots qui devaient résonner en elle comme des miracles. C’est comme si une fois de plus elle avait voulu prendre la première place. Plus âgée qu’elle, logiquement, c’était à moi de partir d’abord. Dans sa désespérance, c’était comme si elle avait voulu me devancer. Son absentéisme ces derniers temps démontrait qu’elle m’avait oubliée, qu’elle était désormais passée à autre chose. C’était bon signe car il fallait bien qu’elle renforce son indépendance et sa prise de distance vis-à-vis de moi. Toutes ces années, je m’étais attachée à elle, à sa spontanéité, sa naïveté, sa sensibilité à vif. Mais je m’inquiétais tout de même de la suite qu’allait prendre sa vie. La suite m’a donné malheureusement raison. Cyl était fragile et le basculement n’avait pu être évité. À l’époque, j’avais essayé d’alerter sa famille, sa mère qui s’était braquée lorsque j’avais évoqué sa cachexie, l’état exalté dans lequel je l’avais retrouvée sur le pas de ma porte, me suppliant de la garder. J’étais restée sans voix de son effronterie. Elle était repartie, elle si petite, dans le grondement de la ville et de la nuit, cherchant le chemin du retour, seule, dans l’abandon immense du monde qui la rejetait. Sa famille m’avait alors verrouillé la porte, et je n’avais plus eu que des nouvelles évasives. Mais même si je m’attendais à une issue fatale, le choc de l’annonce de sa mort ce matin fut immense. Elle était comme ma propre fille. Je perdais une enfant qui m’avait longtemps poursuivie, puis abandonnée. Rattrapée, délaissée, qu’allais-je faire sans elle ?
Luc – Je refais le chemin des dernières heures de sa vie, de Cyl ma petite sœur si espiègle, si étonnante toujours. Je n’arrive pas à m’expliquer comment elle en est arrivée à prendre une telle décision, sauter la balustrade, se jeter dans le vide ? Comment si petite, arriver à un tel degré de courage, ou d’inconscience plongée dans le plus grand désespoir ? C’est cette femme je suis sûr, qui lui a tourneboulé l’esprit. Elle, Cyl, n’a pas pu l’attendre, réfréner son désir pour elle. Elle s’est élancé dans les airs du haut de ces six étages d’un immeuble qu’elle ne connaissait même pas, comme un ange chassé du paradis s’envolerait vers d’autres horizons promis. Je ne m’en remettrai pas et je n’en veux même pas à ses amours qui lui ont redonné la joie de vivre, le bonheur d’aimer, l’élan d’exister. Elle n’a pas su dire stop à la machine infernale qui la travaillait de l’intérieur et qui rongeait toute sa vie. Ces dernières années, je la sentais lointaine, très évasive sur son emploi du temps, empêtrée dans la fin d’une histoire d’amour qu’elle devait lâcher, elle avait à passer à autre chose, s’aventurer ailleurs. La veille de sa mort, elle m’avait appelé pour me dire tout son enthousiasme retrouvé suite à sa nouvelle rencontre qui la transformait en profondeur. Jamais elle ne m’avait parue si heureuse et en même temps si inquiète face au silence qui subitement avait été mis en place à ses dépens. Elle ne savait comment réagir, comment interpréter ce nouveau signal. Et elle n’a pas pu attendre une explication qui aurait tout apaisé et calmé son ardeur intérieure qui s’était embrasé au fil des jours d’attente interminable. Il fallait qu’elle s’éloigne, qu’elle parte de ce feu brûlant. Alors, elle avait fait le premier pas, ce saut dans le vide. Impatiente, elle avait fini par tenter le pire, et ne devenir plus qu’une plaque de sang éjecté. La stupéfaction dans laquelle elle nous laisse tous est à l’image de sa vie : étonnante. Rayon de lumière, elle met fin à elle-même, à la clarté qu’elle portait. Qu’allons-nous devenir sans elle ?
Mum – Non ! Je l’ai eu l’autre jour au téléphone. Luc m’a raconté n’importe quoi. Ma fille est bien vivante et personne, surtout pas la mort ne me la prendra. Elle s’était à nouveau décidé à vivre seule dans son appartement, indépendante et bien occupée avec ses travaux d’écriture qui la passionnait. Que l’on ne vienne pas me dire qu’il est arrivé quelque chose à ma fille, parce que je sais moi sa mère, que c’est pertinemment faux. Ma fille est forte, et elle s’en est toujours sortie de toutes les situations difficiles qu’elle a dû affronter dans sa vie. Et que l’on cesse de me dire que ma fille est fragile parce que c’est faux. Elle a fait tant de guerres, vaincu tant de batailles, rien ne peut la réfréner, elle étonnera le monde, toujours. Luc veut m’effrayer en me disant qu’elle s’est jetée d’un sixième étage dans la nuit du samedi au dimanche, et qu’elle n’est plus que flaque de sang à l’heure actuelle. Une mère ne peut admettre ça, c’est impossible. Ce n’est pas logique. Sa voix était claire, chantante, enthousiaste l’autre jour au téléphone, elle ne peut qu’être en vie à l’heure qu’il est. Vierge Marie, Christ roi du monde, faîtes que mon enfant continue à vivre, c’est son droit et c’est aussi votre devoir de la maintenir en vie, et s’il lui arrivait malheur, puissiez-vous ôter ma propre vie plutôt que d’attenter à la sienne. Non, ce n’est pas possible, pas vrai, Cyl est encore là, vivante je le sais, parmi nous tous. Sachons l’écouter, l’accueillir, lui accorder une place. Cyl, ma petite, dis-moi que tu n’as pas passer la balustrade, que tu ne t’es pas élancée dans le vide. Tu n’as pas fait ça, dis ? Que vais-je devenir sans toi ?
Bruits de pelles. On cimente l’entrée.
Rude et beau !
Merci beaucoup pour votre commentaire, bref et touchant.
Des relations aimantées qui s’attirent et se repoussent sans arrêt aboutissent à des pertes de contrôle émotionnelles. Ici une relation de dépendance affective paroxystique génère une angoisse gravissime d’abandon insurmontable.Ne pas pouvoir remplir le vide, se vider en permanence de l’énergie pour tenter d’y parvenir.Qui manipule qui ? Au nom de quelle faille personnelle ? Avoir si peur de la mort et de l’abandon que les provoquer semble ( à tort) soulager. Quelle violence pour soi et pour les autres ! On entre dans la sphère mortifère de la folie. Les faits sont prescrits, les remords et les dénis signent l’échec. Le puzzle est en vrac au bas de l’immeuble. Personne pour le reconstituer fidèlement et même honnêtement. Les personnages en font trop ou pas assez On a envie de les engueuler… Leur egocentrisme est phénoménal.
Mais, de quoi je me mêle ? .
Ce texte est difficile à lire comme quelque chose de détaché du réel, trop intime, trop vraisemblable (Les défenestrations sont légion et sont rarement commentées tant elles culpabilisent ). Un sujet de société aussi. Les liens d’amour et d’attachement sont problématiques et insécures.
Merci beaucoup pour votre commentaire. Le message était en effet qu’il est toujours temps, jusqu’à ce qu’il ne le soit plus. Une fois la barrière franchie, il ne s’agit plus que de ressasser ce qui n’a pu être vécu et ce qui aurait pu être, si. Vivre davantage et plus attentivement servirait à éviter ce ressassement sparadrap qui ne fait que plus entrer dans la folie vers un retour incessant à ce qui n’a pas eu lieu et qui aurait pu tout changer.
Merci pour votre analyse !
Je crois au contraire que certains destins sont profondément incrustés dans les prémisses de leur trajectoire. Cette fameuse confiance en soi qui demande tellement de tentatives et d’ajustements aux cisconstances. Certains êtres sont comme des comètes,personne ne peut vraiment infléchir leur propension désastreuse à la déroute, et si ça peut se contredire, c’est qu’ils ont pu choisir seuls de la dévier à partir d’une opportunité qu’ils ont pu saisir sans s’y cramponner. La dépendance, psychique ou matérielle fait peur. On a déjà assez de se supporter soi-même, on veut bien aimer, aider, brancarder…mais on a ses limites. Je parlais d’égocentrisme plus haut, mais j’aurais pu tout aussi bien dire sauve-qui-peut.
Je n’ai peut être pas bien compris tout ce que vous vouliez dire mais merci pour vos commentaires et remarques.
J’ai repris les éléments de votre histoire et j’y ai greffé ce que moi j’ai compris de vos personnages.Ils se contentent de dire ce qu’il pensent; j’ai tenté de leur rendre leur liberté d’être et de devenir. Cela suppose un certain travail sur soi pour chacun.e. Mais peut-être est-ce trop tôt dans votre écriture ?
En tout cas c’est très intéressant ce que vous dites, cela me permet de réfléchir sur la façon d’écrire les personnages, avec un autre point de vue, une autre perspective. Pour la suite, rehumaniser mes personnages pourquoi pas, après tout ils le mériteraient vu qu’ils n’ont pas été depeints sous leur meilleur jour, loin de là. Après, je ne sais pas si j’ai vraiment envie de continuer avec eux, plutôt les fuir ou m’en séparer, pour retrouver une meilleure histoire, ce serait mieux je pense. Ce n’était pas la plus heureuse des histoires. Merci en tout cas.
Merci Cécile pour ces mots émanant de chacun de vos personnages.
Merci pour elle qu’ils et vous racontez,
Merci de nous partager votre écriture.
Au plaisir de vous relire.
Merci beaucoup pour votre appréciation !