Il y a la voisine qui dit qu’ils boivent beaucoup et qu’ils frappent le chien régulièrement pour qu’il obéisse. « Le chien aboie quand ils boivent le soir, c’est-à-dire tout le temps ». Ça, c’est ce que dit la voisine aux gendarmes qui sont passés chez elle après les faits. La voisine est pédicure et elle a besoin de dormir avant d’aller travailler. Il était minuit, et le chien aboyait encore une fois. Rien ne pouvait l’arrêter. Alors, une nouvelle fois, elle a crié pour que le chien arrête d’aboyer. Il était apeuré. Il y avait trop de monde, trop de viande saoule et il craignait pour sa vie. Le chien était battu tous les soirs, c’est ce qu’a raconté la voisine qui a demandé des nouvelles de la mère, savoir si elle allait se rétablir ou non. Elle n’a pas eu le temps de tout voir puisqu’elle a vu le père et le fils se précipiter sur le chien avec un couteau de boucher, celui qui servait pour le barbecue. La voisine culpabilise un peu mais elle était excédée par ces nouveaux voisins qui ne marchaient pas dans les clous. Ils étaient trop souvent éméchés, totalement ivres. Les fêtes se succédaient, c’était trois à quatre fois par semaine. C’est pour cela qu’elle se plaignait. Elle avait besoin de dormir pour aller travailler. Elle avait juste entendu la mère dire « Ta gueule tête de mort » et des coups partir sur le chien qui s’est mis à pigner. Elle a juste entendu le fils dire « Allez manger vos morts » à la maréchaussée quand ils sont venus les chercher avec le père. Tout s’est passé très vite. Il y a eu les aboiements du chien, « Ta gueule tête de mort », le cri rauque de la mère que l’on prend à la gorge, le silence dans le voisinage, les couinements du chien, la vélocité du père et du fils, les pompiers et les gendarmes, c’est tout ce dont elle se rappelle. Elle, ce qu’elle voulait, c’était dormir pour aller travailler le lendemain.
Il y a le copain qui a fait vingt ans de tôle et qui vient d’Orléans voir ses amis de Saint-Jean-de-la-Ruelle, du temps où ils habitaient au même endroit avant qu’ils ne soient expropriés pour construire un éco-quartier. Il n’a rien compris au chien. Il n’a pas supporté les cris de Margaret et le râle du chien. C’est la première fois qu’il venait à Saint-Marcou. Il ne reviendra pas.
Il y a l’autre fils qui n’a entendu que son propre chien aboyer toute la soirée. C’est un chihuahua. Son chien aboyait et ses enfants jouaient en criant. Il ne se rappelle de rien d’autre que d’avoir entendu la voisine crier que le chien, le Malinois, aboyait et il n’a pas eu le temps de réagir quand sa mère s’est fait prendre à la gorge. Il était en dehors du cercle. Il était sur le côté, en train de boire du rosé et de la bière. Les bouteilles s’entrechoquaient quand elles tombaient directement dans la poubelle. Mais ça, c’était avant que la mère se fasse prendre à la gorge par le Malinois qui, en principe, n’avait pas une once de malice. Il était plutôt du genre obéissant. Ce fils-là n’a pas compris que sa mère était entre la vie et la mort. Il n’a pas compris quand son frère et son père ont été embarqués par les flics. Il est resté dans la maison en attendant que tout le monde revienne. Il a tout nettoyé, le sang et les traces de bière, quand tout le monde est parti. Il l’a fait avec sa sœur.
Il y a donc la fille, qui a hurlé quand sa mère s’est fait prendre à la gorge par le Malinois. « C’est la faute à la voisine », paraît-il. « Elle n’avait qu’à pas se plaindre que le chien aboyait. Sans elle, rien de tout ça ne serait arrivé. Elle est dangereuse, la voisine. »