Poignée de récits à la poubelle :
- Ce soir-là, impossible de le raisonner, j’sais pas ce qu’il avait vu, il marchait vite et avec ses grandes pattes t’as du mal à le suivre, et chaque fois qu’on croisait une poubelle, vlan, par terre, et des grands coups de satons sur le couvercle et dans la carcasse, ça foutait un de ces bordels ! on le poussait, on le tirait par le bras, il commençait à gueuler Faites pas chier ! Faites pas chier ! et donnait des coups de pieds dans le vide, et puis dans les sacs que la poubelle venait de vomir, Faites pas chier ! et des coups un sac finit par crever, des boîtes de conserve roulent dans le caniveau, une autre vole, et un nouveau coup de pied ça gicle, Allez ! bouge ! c’est toi qui fais chier ! ça a giclé, j’sais pas ce que c’était, j’savais pas, j’en avais sur le bas du jean, j’voyais bien les taches noires dans les lumières des lampadaires, mais j’savais pas que c’était du sang, j’le voyais pas encore, j’ai juste vu que ça venait de me gicler dessus et que ça venait peut-être d’un animal ? en tout cas j’ai aperçu une espèce de corps à moitié sorti du sac éventré, avec des poils, mais sans tête, y avait pas de tête, où elle était encore dedans, mais c’était trop plat ça m’a semblé, et puis l’autre était reparti à grandes enjambées, j’me suis pas arrêté pour observer la chose, pas le temps, ça a giclé, y avait des taches, c’était du sang, j’en savais rien, une bête morte peut-être, et on courait presque derrière l’autre con qui se ferait la prochaine poubelle.
- Beg, ne voit rien, penché sur lecteur, occupé à choisir les prochains morceaux à écouter, la tête dans un drone de métal et la rumeur des voix, il ne perçoit que l’éclat qu’on lui adresse, Eh, tu la vides quand ta benne à ordures ? — Fin du mois, pourquoi ? — Gros dégueu ! comment tu fais pour supporter c’t’odeur ? — Quelle odeur… ? Block rockin’ beats, ça t’dit ? et puis une ombre le bouscule, le temps de se redresser et de se retourner, un dos dans l’embrasure disparaît en claquant la porte, à faire trembler la rangée de disques. C’est qui qui s’barre comme ça ?
- Juju, en retrait, accoudé au comptoir de la cuisine, une bouteille de bière à la main, le front luisant frappé par un spot térébrant, aidant la fatigue à lui vider les orbites, Juju perçoit de l’autre côté des ombres sur le mur faire de grands gestes, l’index en l’air, les coups de menton dans le vide, et puis derrière les bouches actives, qui ont l’air de cracher des accents aigus, graves, son œil à lui circonflexe, (Font les cons ou bien ?) — Tu sens pas comme une odeur… ? — Si… ben tourne la tête… (sort d’où lui… ?) qui déboule entre les deux autres, toujours à s’offrir des bouquets de nerfs sans le calculer, Faites chier ! j’me casse ! et vlan ! Eh… ! — Qui c’est qui s’tire comme ça ? et deux autres à sa suite, On revient ! (— Ou pas… ça part encore en live…)
- ME — Non, mais ils sont partis comme des furies, même pas salut, rien, juste le temps de dire qu’il venait de péter un câble sans savoir quoi, y en a un qui sait ici ? Lolo lui a demandé « Eh ! tu vas où comme ça ? il s’passe quoi ? » et c’est limite s’il s’fait pas bouler « Fais pas chier bordel ! pas chier ! » il nous a même pas regardés, il a pressé le pas, on l’a regardé partir comme des cons, « Mais reviens ! » j’lui dis « On y est pour rien nous ! », mais rien, rien il a filé sans s’retourner, et par contre il a retourné la première poubelle qu’il a croisée, à foutre les sacs dans le caniveau en gueulant « Pas chier ! », et il s’est barré, les autres sont arrivés, pas le temps de s’arrêter, juste pour dire en passant qu’il pétait un câble, et j’sais pas ce qui l’a mis comme ça, à se retourner au fond d’un sac, mais c’est son câble là, c’est quand même une sacrée ligne ! y en a un qui sait pourquoi il est parti comme ça dans tous les sens ?
- Quand il s’est couché, impossible de dormir. Ça tournait dans sa tête, cette fin de soirée. Le retour en quatrième vitesse, la corrida avec les poubelles, la bête crevée. Il a fini par se lever et sortir son bloc-notes. Fallait qu’il consigne ça, vite fait. Deux trois trucs comme ça, une petite liste ouverte, histoire de pas perdre le fil. Quelques mots jetés pour ouvrir la mémoire ou l’écriture plus tard, des fois ça suffit. Soirée chez le Beg. Quinito. Tous deux dans le placard à parler fantômes, entités. Lolo et les filles partis nous chercher, dehors. Revenus avec un groupe (inconnu). L’odeur dans l’appart’. « Tu trouves pas qu’y a une odeur ? — Ben regarde derrière toi ? — Eh, tu la vides quand ta benne à ordures ? — Fin du mois, pourquoi ? » L’embrouille. Yeux de velours vs. Langue aguichante (les cons). L’autre qui se barre, on sait pas pourquoi. On le rattrape avec JL, impossible de le raisonner. « Faites pas chier ! moi j’me tire ! » Pas tout seul. Marche vite. Et la corrida avec les poubelles. « Olé ! olé ! » par terre (on sait pas pourquoi). Celle où il s’acharne, où le Pouill veut le retenir « Bouge ! dégage ! tu fous quoi là ? », par le bras, mais les coups de savate dans le vide (moins une qu’il lui foute pas une béquille), redouble de colère sur le bac, les sacs par terre, les boîtes et une bestiole crevée, noir et blanc (il a pas fait gaffe), le coup de pied dans les côtes, la giclée et la flaque (va savoir de quel fluide glacial) mais il s’en fout, la bourrade dans le dos, « Bouge ! — Pas chier ! » et c’est reparti. Retour plus calme, des coups de pieds sur les bacs. Il s’est cassé la gueule au dernier (le pavé glissant). Rentré trempé, glacé, de la bruine tout le temps. Ça dégrise.
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