#été2023 #05 bis | René le ragondin

Y a un ragondin à la fac il s’appelle René…                                                   J’te jure ! après l’entrée, quand t’arrives au plan d’eau, il était là dans l’herbe, une espèce de gros rat poilu…                                                                                                                                                                                                                    Non, non ! j’sais encore faire la différence entre les poils et plumes, les becs et les queues…                                    et j’étais pas tout seul, on était tout un groupe à descendre prendre le bus, et il était, à deux mètres à peine, à se rouler dans l’herbe, j’te jure, il se tortillait dans tous les sens, il s’arrêtait, les pattes en l’air, t’aurais dit qu’il prenait un bain de soleil, et il recommençait à se tortiller…                                                                                                                                                                                         J’te dis, on était plusieurs à rester pour le regarder faire comme des cons…                                et y avait des mecs en Licence qui déconnaient Alors René, on prend l’air ? on se dore la pilule ? — Il nous fait quoi René ? une petite danse ragondine ? — Pourquoi René ? j’ai demandé. — J’en sais rien, il était déjà quand on est arrivés et on l’appelait déjà comme ça, il dit. — Et moi j’dis que c’est le gardien qui l’a baptisé, fait son pote, quand il vient donner à bouffer aux canards il lui donne aussi des trucs et il l’appelle René. — Ben, comment tu sais ça toi ? — Ben, j’lui ai demandé ! — À qui, au gardien ou à René ? — Attention René, v’là la patrouille…                                                                                                                                                                 La patrouille, c’est un groupe de canards qui s’avançait, ils ont dérangé René, il s’est remis sur ses pattes et a filé dans l’eau quand ils ont commencé à courir…

Qui ? — Le soir, quand j’cours, le plan d’eau du campus c’est ma pause. J’fais le tour en marchant pour souffler, j’ai déjà six bornes dans les pattes. Des fois j’me pose dans l’herbe. Et je l’vois, René, faire des aller-retour le long de la berge, traverser la mare, sortir de l’eau et courir après un canard qui s’envole. Il se redresse aussi pour faire un brin de toilette avec ses petites pattes avant, se frotter derrière les oreilles, le museau, les yeux. Et des coups de langue ici et là, entre les doigts, dessous. Et puis il disparaît et tu le retrouves presque aussitôt de l’autre côté.

Qui d’autre ? — … le bâtard, à cause de lui j’me suis cassé la gueule dans la mare, j’l’ai pas vu venir, vu l’heure et le brouillard que j’avais dans le crâne, pas étonnant, mais lui non plus il a pas dû m’entendre, ou alors j’étais trop près de son terrier il a voulu le défendre, putain de ragondin il a surgi comme ça du fourré où j’allais pisser, il s’est foutu dans mes pattes en couinant et il a détalé, le bâtard, j’ai sursauté et j’ai perdu l’équilibre, déjà que ça tanguait grave rien qu’en marchant, j’me suis même pris la poubelle que l’autre con a balancé, j’ai pas pu l’éviter, mais là j’ai plus rien maîtrisé, j’me suis effondré comme une bûche et j’ai roulé dans la mare, fumier de René, j’l’ai même pas vu, juste une ombre entre mes jambes et j’sais même pas où il est allé après, j’l’ai pas entendu retourner dans l’eau ou se carapater dans les fourrés, en même temps, le cul dans l’eau, j’pouvais pas, c’est pas profond, mais j’peux t’dire qu’en février, ça réveille un mort…

L’Appariteur — Une heure environ avant que les premiers étudiants arrivent, il se promène autour du plan d’eau. Il tient une poche en plastique contenant quelques tranches de pain rassis récupéré la veille aux cuisines du resto universitaire. Il les émiette et jette sur la berge les morceaux aux canards qui rappliquent dès qu’ils l’aperçoivent, en nageant ou en volant pour les plus éloignés. René aussi. Mais il reste à l’écart. Et il sort de l’eau sans être aperçu. L’appariteur est toujours un peu surpris par ce phénomène. Il a beau savoir que l’animal va surgir, il ne le voit jamais faire. Même si les canards le distraient plus ou moins, à quémander un autre bout de pain, à se courir après et voler dans les plumes pour trois fois rien, il jette régulièrement un œil à gauche et à droite. Il n’y a jamais rien. Et puis l’animal se trouve ici, ou là. Qui le regarde le regardant. C’est comme ça depuis le début. Un matin, il y a longtemps, donnant déjà du pain aux canards, René est apparu. Il ne sait pas comment cet animal des rivières et des fleuves s’est retrouvé dans le campus, au cœur de la ville. Mais depuis, il l’a aperçu d’abord sporadiquement, distant, méfiant, et puis de façon plus régulière et moins inquiète. Mais toujours plus ou moins à l’écart. Toujours comme un spectre sans crier gare.

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme pas fait exprès).

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