- Dans la nuit de samedi à dimanche, et non pas celle du vendredi au samedi, c’est à ça qu’elle pense au réveil, ce n’est pas la nuit de vendredi à samedi, et à l’instant de reprendre pied dans la réalité, le soulagement peut commencer l’envahissement du corps qui est resté dans le contexte du cauchemar, parce que ce n’est pas la nuit de vendredi à samedi, et alors le soulagement peut continuer à progresser dans les muscles, dans la chair, dans la tête, la respiration redescendre dans le ventre, ce n’est pas un rêve prémonitoire, de ce qu’elle disait la mère, l’inéluctable du terrible en préparation dont on venait de vivre un avant-goût, parce que c’était le rêve de la nuit du vendredi à samedi. Elle entend la phrase dans sa tête. Essaie de s’assurer qu’il s’agit bien de la nuit du vendredi au samedi, essaie de prononcer les mots, la nuit du vendredi au samedi, mais elle doute à présent. Parce que c’est même sonorité. Même la nuit du jeudi au vendredi. Elle hésite. Il faudrait lui demander. Depuis qu’elle ne peut plus l’interroger, le monde a perdu toute stabilité.
- Dans la nuit de samedi à dimanche, et si elle veut y rester dans ce nouvel habitat, ce ne devra pas surtout pas y dormir pour la première fois un lundi. S’agit-il de la nuit du dimanche au lundi ou du lundi au mardi. Elle l’ignore et personne à interroger. Des balises dont elle n’a pas mémorisé les codes.
- Dans la nuit de samedi à dimanche l’odeur étrangère, bizarre, qui n’est pas familière comme celle de mazout qui vous sautait à la gorge dès qu’elle entrait dans sa maison, à la gorge, au ventre, qu’elle était la seule à sentir, tu ne sens rien, tu t’en souviens quand même, non, il n’a pas remarqué, elle a le nez qui gâte, pour reprendre une expression entendue dans l’enfance. Malgré la porte bien fermée sur le garage accolé à la maison et le petit couloir et tout le salon et encore le corridor, l’odeur de mazout, à peine la porte poussée qu’il a fallu soulever un peu à cause de l’humidité, depuis l’enfance c’est la même voix qui parle de l’humidité à cause de la rivière au fond du jardin en bas des escaliers.
- Dans la nuit de samedi à dimanche, la même odeur d’humidité on pourrait penser, et donc il y aurait quelque chose de familier, de rassurant, et non, chaque humidité a sa particularité odorante. Elle a plongé son nez dans le t-shirt qui lui sert de robe de nuit. L’odeur de sa peau la rassure. Si elle ne s’habitue pas, elle pourra toujours partir, lui rendre la clé et le remercier.
- Dans la nuit de samedi à dimanche, elle se tourne et se retourne. Le lit est large, l’hôtel luxueux. Il dort à côté d’elle. Demain il repartira. Il ne donnera pas signe de vie jusqu’à la prochaine fois. Son corps à elle est en paix. Sa tête moins. Il la fait toujours jouir. Ça reste un mystère. C’est peut-être pour cela qu’elle vient le retrouver, pour comprendre. L’alcool et le spectacle l’ont épuisé. L’amour aussi peut-être. Elle a chaud. Elle voudrait boire. Sa gorge comme fichée d’aiguilles. Elle a peur de le réveiller. De se cogner dans le noir aussi. On lui a donné une suite. Elle est arrivée tard, elle ne sait même pas dans quelle direction est la salle de bains.
- Dans la nuit de samedi à dimanche, elle marche dans la neige. Elle est hors du froid qui resserre tout le paysage et le sol sous ses pas. Il faut prendre garde à ne pas déraper. Elle est hors tout raisonnement commun. Elle pleure à gros hoquets. Elle sent que c’est de cela qu’elle a besoin. Elle est hors de la peur du noir, de la peur de ne pas retrouver son chemin, de la peur de se faire agresser. Elle est seule dans la nuit. Close sur sa peine.
- Dans la nuit de samedi à dimanche, elle n’est pas née. Ils ont attendu le matin pour la césarienne. Elle était un gros bébé. Un beau bébé. C’est ce qu’on dit des nourrissons qui n’ont pas fait le trajet eux-mêmes, qui n’ont pas dû se frayer un chemin, à qui on a ouvert la porte. Est-ce pour cette raison que tout lui demande du temps ? Qu’on l’a toujours traitée de rêveuse ? Qu’on l’a éduquée à coups de dépêche-toi ? Qu’elle a choisi de photographier plutôt que de filmer ? Arrêter le temps sur l’image. C’est un art qui lui convient, la justifie toute entière. Écrire aussi si la narratrice le décide ainsi.
Ces textes comme extraits d’un film nous empreignent…. je sens cette odeur de mazout. Merci Anne pour l’expérience sensorielle!
elles sont touchantes, ces nuits
merci Anne pour toutes ces fenêtres ouvertes sur… et la 7 magnifie le tout.
je me suis glissée dans tes nuits du samedi au dimanche qui nous proposent une magnifique palette de sensations
et toujours ce Elle, lancinant, essentiel…
Merci Anne toujours ce joli plaisir de te lire toutes ces nuits celles du début qui m’ont fait rire sur l’interrogation des nuits, celle de la suite qui m’a fait rêver, j’aime cette image de l’amant et de la jouissance qui intrigue, les odeurs si détaillées qu’on les sent en les lisant. Merci et bonne journée.
Belles et terribles ces nuits ! Magnifiquement décrites ! Merci, Anne.
j’aimerais dire encore, anne !!! et je le dis. merci pour ces nuits
Superbes ces nuits et le monde de sensations, de sentiments qu’on y découvre !
« Un beau bébé. C’est ce qu’on dit des nourrissons qui n’ont pas fait le trajet eux-mêmes, qui n’ont pas dû se frayer un chemin, à qui on a ouvert la porte. Est-ce pour cette raison que tout lui demande du temps ? »
A moi aussi, il aura fallu du temps pour que je lise vos nuits où je retrouve bien des images et sensations familières. J’aime cette impression de résonances convergentes.
J’aime vraiment beaucoup, cette intimité
depuis toutes perceptions conquises
La perte d’orientation déclenche un ancrage dans le corps
vraiment réussi
comme s’il fallait perdre toute temporalité pour faire véritablement corps avec un lieu
comme si le fait de saisir tout ce qui sourd de son corps, d’y rentrer toute la tête, évinçait la géographie inutile – d’où les reliefs où l’on se cogne
les textes 3 à 7, des bourrasques intérieures
Merci vraiment Anne