#été2023 #04bis | Jeudis soir, jeudi noirs

De quelques jeudis soir, à finir noirs :

  • C’est à l’étage, on ne sait plus quel bar, à deux pas de la Victoire. La petite place pour les sandwichs, paninis, kebabs, burgers, très animée. Et deux bars au milieu. On est dans l’un ou l’autre. L’autre plutôt, le petit. À l’étage. Il y a du monde partout, l’escalier n’en mène plus large. Ça bouchonne. La vue de la fenêtre sur la place en jaune et nuit, les queues pour bouffer, la terrasse pleine, les allées et venus dans la rue. Les fenêtres en face illuminées. La musique, on ne s’entend pas. Les autres nous attendent dans un recoin à côté de l’escalier, à l’étage. Un coin banquette, quelques poufs, une table en rond. Tout moquette, sombre avec des traits ou des lignes rouges. Des verres ballons, trois cadavres. Désolé on vous a pas attendus ! Chef on remet ça ! — Et alors, banane ou pas banane ? — Y a pas… — Et alors chef, elle où ? elle où la banane ? ils ont dit qu’y avait d’la banane c’t’année, chef ! elle est où ? — [En chœur] Dans ton cul ! — Ah… ça c’est du tendage de perche. — De banane tu veux dire ! Comme ça toute la soirée. Et un peu moins profond sûrement. Avec deux dés, des doubles, le vingt et un. Le vin et un t’veux dire ! — Maya ! — Tu rigoles ! il vient d’tourner les dés ! il vient d’tourner les dés ! — Hop ! la Patrouille Arsouille ! [En chœur] Pi-co-lo… Pi-co-lo… On est une dizaine autour de la table ronde. Ça bouchonne dans l’escalier, ça monte et ça descend. Le sous-bock, le gobelet, les dés tournent de main en main, les verres se vident, les bouteilles cadavrent, les visages bananent. Ça vole de plus en plus haut. La musique de plus en plus forte, en acouphène ? Dans le recoin à l’étage. Mais lequel ? Là où il fait sombre. Là où il fait moquette. Là où les traits et les lignes. « En rouge et noir, mes luttes mes faiblesses. » Les dés Maya ! et le dégueulis… Olé beaujolais ! Tout sur la table ronde. Dans le recoin, à l’étage. À côté de l’escalier bouché. Le vin sur la table, à couler partout. Des petites guirlandes, des serpentins de vin. Une petite fontaine. Et tous bénis.
  • Un troquet entre Sainte Miche et Saint Pierre. Le seul endroit avec un peu de lumière la nuit, dans la rue de pavés tordus et de vieux immeubles noirs. Pas bien grand. Quatre murs blancs défraîchis, trois, quatre tables carrées en formica au centre, deux contre le mur, des chaises paillées. Le petit comptoir au fond. Un juke-box quelque part. On passe la soirée entre Kriss Kross et Aznavour, et quelques gars du quartier peut-être. Concours de piécette au blanc limé dans des verres blancs de cantines. La pièce de deux francs rebondit mieux. Trop. Un coup sur la table, elle passe au-dessus du verre au milieu des autres, en ronde, atterrit dans le verre d’en face. « A B C, it’s easy it’s like counting up to 3 » Ça éclabousse. Tu bois ! La table se couvre peu à peu de vin et de limonade. Autour de la table aussi. « Sing a simple melody » Quand la pièce tombe au milieu c’est à celui qui boira son verre le plus rapidement. Ça coule le long du menton et dans le cou. Le dernier à finir son verre avale aussi celui du milieu. Tu bois ! Ça finit par coller aux mains, aux manches, aux pieds. Les chaussures mouchetées. Mais qui repasse une énième fois Emmenez-moi au bout de la Terre ? Combien de tours de piécettes ? Jusqu’à ce que ça ferme sûrement. Pas trop tard ici, vers minuit. Alors après, direction Sainte Miche et les Capus, La Lune dans le Caniveau.
  • Soirée BTS Tourisme. — D’abord, rien. J’suis dans ma première piaule, rue Marie, Talence. Quatre mètres sur quatre pour un meublé sous halogène. La fumée d’un papillon ébloui aura encore pris le dessus sur l’odeur de graillon des lardons, de l’oignon et de la crème fraîche dans laquelle je baigne, après les tagliatelles, allongé sur le lit un livre à la main. Ou bien attablé, à feuilleter les notes des cours, à gratter sur un bloc pour un exercice incompréhensible. J’ai fermé. — Ensuite, on toque aux volets en PVC de ma porte. Un son mat, sourd. Des voix. C’est qui ? — Oh… par les poils de mon menton, c’est le Grand Méchant Loup ! Renaud, Sarah, ME. Nus dis pas qu’tu bosses ? — Non, j’vous l’dis pas. Mais j’allais pas tarder à m’coucher. Ils vont à une soirée BTS Tourisme du côté de Plume la Poule. OK. — Après, une place de parking devant un stade. Des bois tout autour. Deux vieilles longères rénovées, moellons apparents, formant un L. Une grande salle, du monde, une rangée de tables en guise de bar, quelques saladiers de punch. La sono braille, trois spots de couleur à se battre en duel, avec boule à facettes. Eh ! c’est quelle promo du BTS ? l’option Club Merde ? — Ouais, ça doit être ça. Ceux qui se sont inscrits en touristes ! Les autres aussi sont là. Ben, Cecca, Sasam, la Galoche. Lequel est sorti déprimé ? Il a fallu le rattraper, discuter, l’écouter, argumenter, pour rester. Sous un arbre, éclairés par la pollution lumineuse de la ville. Et cette fille aux grands yeux fluo dans la lumière noire qui venait de m’accoster, on bavardait, on se regardait, on déconnait. Quand on revient, la salle s’est vidée. JL, sur une piste de danse en équilibre instable, un saladier entre les bras. Vide, heureusement. — Je rentre avec ME.
  • À la fac, l’après-midi à jouer aux cartes dans le foyer, au niveau le plus bas, vide, bien éclairé et aéré. Belote, coinchée, tarot. Les tours défilent, les contrats, les chutes. Peu à peu, ça se remplit et la nuit tombe. L’espace blanc du foyer, du carrelage aux dalles du plafond, redoublé dans la baie vitrée. Les lumières vacillantes, le monde démultiplié. Ça se bouscule au niveau du dessus, la tireuse est ouverte. À mille quatre cents points passés, cinq centimes le point, c’est plus de soixante-dix balles dans la cagnotte de tarot. Deux balles le verre, trente-sept bières partagées, on est cinq. À qui on offre le reste ? Ah non ! moi j’dis qu’ça s’joue aux cochons ! — Allez !
  • Damien ? C’est comme ça ? Un type assez grand et trapu. Visage rond, impassible le plus souvent. Sauf à fumer, à faire tourner des trucs énormes, à sept feuilles ou plus, en forme de tulipe. Vivien ? Assis sur un tapis, des coussins. Une bibliothèque. Une poignée de livres. Des bibelots. Une pipe à eau maison avec une bouteille en plastique. Ça grommelle. Aurélien ? La bourre rougeoyante à grésiller. De la brume en volutes. La lumière molle, la musique fade et quelques coups de Tricky. Des bouches en faux rythme à marmonner quoi sur les lèvres avachies. L’œil à flétrir au fond des fauteuils ridés. Sourires à platir. Un truc en -rien… ? Dehors, les immeubles et les toits d’ombre. Dernières lueurs du ciel. On s’fait une grolle ?
  • Le Lucifer une fois, tout en bois, en pierre, son sous-sol voûté, une tireuse en forme d’œuf pour une flamme rouge et jaune. La Lucifer, à combien le degré ? À trois ou quatre verres. Et le retour en coupant par des rues inconnues, une place comme perdue au milieu d’un bois, un bâtiment de pierre et de poutrelles de fer, une grille en dentelle pour un éventail ou une roue de paon. Une fontaine. Un énorme coquillage supporté par des dauphins, des poissons, escaladés par des enfants nus. Une nymphe au sommet, dans une étole laissant à découvert une poitrine ferme, une grappe en main. D’autres créatures ici et là. Une autre nymphe derrière, allongée sur une barque, nue. On monte.
  • La nuit où, on se réveille enflammé par la soif, aveuglé par la lumière de l’halogène, allongé sur le lit tout habillé, baignant dans une odeur infecte, la nuit où, on se lève et la chambre tourne, le sol se dérobe, le lavabo s’éloigne, ressurgit en vomissant une pâte, une bouillie rose orangé, d’la jholie beurnée d’andouille aurait dit Dada, la nuit où, on s’accroche au lavabo, on se suspend au robinet, on étreint le filet d’eau, on étanche le corps, on dilue le feu, on noie le fleuve noir.

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme pas fait exprès).

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