#été2023 #04bis | Fêtes nationales

14 juillet 1980. On est à Saint-Avit-les-Monts et Lucie a huit ans. A la rentrée prochaine, elle sera en CE2. La fête nationale bat son plein. Ses camarades de classe sont tous partis en vacances. Enfin pas tous, il en reste encore un. Il y a David Martin qui traverse le pont. Elle lui dit : « salut gros pépère » en signe de reconnaissance. Elle se fait réprimander tout de suite  par ses parents. « On ne dit pas ça ! », lui disent-ils. Elle n’a pas compris ce qu’elle avait dit de mal. Elle n’a pas compris qu’on ne pouvait pas appeler « gros pépère » le petit gros de la classe. Elle ne sait pas que c’est mal. Elle a eu honte d’elle après les paroles de ses parents mais elle n’a pas compris pourquoi il ne fallait pas dire ça. Elle ne reverra pas David Martin. Le fils du charcutier partira de Saint-Avit-les-Monts. Elle ne pourra plus lui dire qu’elle l’a reconnu quand il passera dans la rue et qu’il traversera le pont. Elle ne l’a jamais revu.

14 juillet 1981. On est à Paris. La famille de Lucie est montée à la capitale pour voir le feu d’artifice du 14 juillet. 1981, l’accession de Mitterrand au pouvoir. Avec enthousiasme, les deux parents, les trois enfants et la chienne Amie prennent le métro pour accéder à la tour Eiffel d’où le feu d’artifice doit être tiré. La famille est en retard. Après le métro, elle accède à l’air libre. Ce sont des coups de pétards qui les accueillent. Amie tremble, elle est apeurée. Elle veut s’enfuir, les enfants veulent s’en aller. Les coups de pétard sont incessants et pas moyen de se réfugier ailleurs. Le feu d’artifice ne sera pas tiré à cause du temps. Les coups de pétards sont incessants. La famille se réfugie dans le métro et prend la première rame. Tout le monde s’est calmé.

14 juillet 1990. On est à Confolens. Lucie a dix-huit ans. Elle est au festival des folklores du monde. Il y a les pompiers de Paris qui séduisent des Lucie qui s’est laissée faire par un Franck. Première fois hors du bois. Elle a oublié le feu d’artifice.

14 juillet 1998 : On est à Orléans. Lucie est dans son appartement. Elle ne sort pas, elle ne sort plus depuis quelques temps, depuis qu’elle entend des voix. Elle boit pour oublier qu’elle entend des voix. Elle ne rencontrera personne. Elle est seule et pourra enfin dormir parce qu’elle boit.

14 juillet 2007 : On est en Bretagne. Lucie est en vacances. Elle n’a pas choisi sa période de vacances, on les a choisies pour elle. Cela fait belle lurette qu’elle ne voit plus de feu d’artifice. Elle l’entend tirer depuis deux kilomètres de son lieu de villégiature. Lucie a adopté un chat pour lui tenir compagnie. Elle est en vacances avec ses parents. Son père est fatigué et sa mère fait la gueule. Ce qu’elle ne sait pas encore, c’est que son père mourra très exactement un mois plus tard. Elle l’avait vu faire un nœud coulant quand il a fabriqué un jeu pour son chat. Elle a toujours l’image dans la tête.

14 juillet 2014 : Lucie est propriétaire. On est à Saint-Marcou. Elle n’a pas d’argent mais elle est propriétaire. Elle ne va toujours pas regarder le feu d’artifice de Saint-Marcou, le village où elle a élu domicile. Elle a une maison avec un locataire. Il ne paie plus son loyer. Que va-t-il se passer ? A peine propriétaire et déjà expulsée ?

14 juillet 2022 : On est à Saint-Marcou et Lucie a cinquante ans. Cela fait trente ans qu’elle n’a pas vu de feu d’artifice. Elle est installée dans son jardin. Il fait nuit. Lucie scrute le ciel et voit passer des rouges, des bleus, des verts, des roses et des blancs. Pas besoin de descendre au village pour voir le feu d’artifice tiré au-dessus du Loir. Elle est installée dans son jardin. Il fait chaud. Lucie est célibataire et sans enfants. Elle prend des photos. Elle ne les poste pas sur les réseaux sociaux. Elle les garde pour elle. Elle est solitaire et entend rester seule. Elle ne peut pas faire autrement. Au loin, elle entend les pétards qui lui rappellent le 14 juillet 1981. Plus de stress aujourd’hui. Lucie est paisible. Elle prend des photos qu’elle ne partage avec personne. Elle entend encore des voix, parfois, mais elle ne boit pas. Elle s’apaise et elle s’endort après le bouquet final.

A propos de Elise Dellas

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