Il n’aime pas l’Isle-Adam qui représente pour lui le village, toujours le même, celui de Vallon en Sully, celui de Montfort l’Amaury, celui du Péage de Roussillon, c’est à dire l’entité village. C’est à dire ce lieu où l’anonymat la clandestinité sont des impossibilités. Il arrive à pied, et il voit au loin cette présence menaçante du village. il y a deux ponts après la voie de chemin de fer, deux ponts à franchir pour entrer dans la grand rue de L’Isle-Adam. et presque à l’entrée du bourg sur la gauche se dresse cette grande bâtisse bourgeoise, la maison du médecin. Une maison et une charge de notable qu’on se transmet ici de père en fils. Il se rend au lycée et il n’aime pas ce fils de médecin dont l’avenir est tout tracé. D’ailleurs quand il se souvient de sa scolarité il se rend compte qu’il n’aime personne ici, tous ces fils de notable à qui tout semble dû l’écœure et il les méprise. Pourtant Ferrera n’est pas un nom local. même si les Ferrera sont là depuis sans doute plus d’un demi siècle, le village semble avoir oublié leur origine douteuse. Ce que ne ferait pas un village, déjà à cette époque pour avoir un médecin… Ferrera le père accueilli à bras ouvert perdra vite son aura d’étrangeté, de métèque, Ferrera le fils n’y pense même pas, il a cette suffisance des gens nés quelque part. Non, bien vrai il ne l’aime pas plus ce type là que l’Isle-Adam. Que tous les habitants de l’Isle-Adam. D’ailleurs il n’habite pas encore L’Isle-Adam, il habite à Parmain, près de Valmondois, le village d’à côté, un village dortoir sans noblesse, sans histoire, mais qui est tout de même noté sur la pancarte du quai de la gare. Pour se rendre à l’Isle-Adam il faut descendre du train à Parmain il y a encore neuf minutes de marche depuis la gare et deux ponts à traverser au dessus de l’Oise avant de pouvoir entrer dans le village repu satisfait d’être ce qu’il est, le village de l’Isle-Adam.
Ce sont des bribes du journal qu’il écrit à cette époque, il vient tout juste de s’enfuir de la maison familiale pour Paris, à quelques mois du bac. Il a trouvé refuge chez Anita à Montmartre. Elle est modèle, et vit dans une petite chambre sous les toits. « Il faut que tu passes ton bac » elle dit et elle le réveille tôt pour qu’il file à Gare du Nord direction Persan-Beaumont. Il ne rechigne pas, cette audace de s’être emancipé, de vivre avec une femme , lui confère une puissance nouvelle. Il ne dit rien. Il sert les dents. Il prend son train, fait ses devoirs, il a bien le temps le train s’arrête à toutes les gares. enfin il descend à la gare de Parmain, franchi les deux ponts au dessus de l’Oise dépasse la demeure des Ferrera, entre dans l’Isle-Adam comme Bonaparte à Arcole. Durant six mois il se prend pour un corse taciturne et revanchard. il passe son bac. sa violence, Anita s’en charge en grande partie. Elle tente de l’épuiser chaque nuit, mais en vain.
Il vient d’avoir 16 ans. le supermarché de L’isle-Adam veut bien le prendre pour l’été. Il se présente pour son premier jour, mais personne ne lui dit rien le patron est en réserve avec la responsable du rayon liquide, sa mère. Il poireaute une demie-heure avant de les voir sortir de la réserve, un peu rouges, ils ont chaud. le patron est un petit homme sec et nerveux. Bonjour il dit pour commencer tu vas aux rayons légumes, tu sais peser ? il sait peser. Il se retrouve au milieu du magasin entouré de choux fleurs, de poireaux de melons et de poivrons. Tous les gens de L’isle-Adam viennent ici faire leurs commissions. même les Ferrera. Tous les gens de l’Isle-Adam savent que le patron du supermarché baise sa mère sur des cartons dans la réserve. Tous savent qu’il a eut ce job d’été par faveur si l’on peut dire.
Avec Anita c’ est terminé. Elle s’est lassée. Et lui aussi, d’ailleurs juste avant les examens il a rencontré cette fille d’origine Sicilienne. il sont allés à Auvers Sur Oise, il pleut ce jour là, ils voient les tombes de vincent et Théo, et tout ce lierre qui les réunit. Elle porte une robe de coton blanc. ses formes ondulent gracieusement sous l’étoffe, elle marche dignement, avec ce qu’il imagine être une fierté sicilienne. Elle lui demande s’il connaît Élio Vittorini. Non il ne le connaît pas. il y a un moment se silence un peu pesant. il cherche un truc à dire dans l’urgence et ne trouve rien de plus con à dire que j’ai la clef du septième ciel en la regardant dans le blanc de l’œil. Elle éclate de rire. Ça y est leur histoire peut commencer.
C’est une histoire entre Paris et l’isle-Adam. Une histoire de train.Une histoire de parents qui ne veulent pas que leur fille épouse n’importe qui ça se comprend. Il s’inscrit en fac de philo elle en médecine. Entre temps les choses se sont un peu arrangées avec ses parents à lui qui ont déménagé et qui habitent un autre village dortoir, un autre village sans histoire près de Créteil dans une autre banlieue. Désormais il prend le RER et elle le train ils se retrouvent à Paris, ils se promènent dans les rues, les jardins. parfois ils se disent qu’une chambre ce serait bien.
Des années plus tard ils vivent ensemble au dessus du poissonnier de L’isle-Adam celui qui a voulu porter plainte après que le chien l’a mordu dans l’escalier. Elle est au Brésil quand il emmène le chien chez le vétérinaire. Pourquoi fait-il donc ça bordel, il ne le sait même plus. Le père, son père à elle n’avait « pas le cœur « ou l’estomac. il a dit ça avec son accent sicilien je n’ai vraiment pas le cœur. et donc il comprend que la tâche lui revient. Sinon ce seront les flics qui s’en chargeront tôt ou tard c’est certain. Avec des amendes à payer en plus. C’est la première chose qu’elle demande en ouvrant la porte à son retour de Rio : où est le chien. Elle se doute que quelque chose ne tourne pas rond puis elle ajoute « ici on vit vraiment trop comme des cons » . Et là il sait presque aussitôt que c’est terminé avec L’Isle-Adam qu’il en partira pour ne plus jamais y revenir.