Tu remontes la rue du Pont-Neuf.
Tu en connais tous les détails. Les minuscules fleurs aux pétales délicatement ciselés fragiles comme du papier de soie pourpre. Leurs effluves de souffre que l’on dit mortelles. Ces fleurs se sont données le droit de pousser entre les fissures qui strient le bitume anthracite. Les arbres aux branches dendritiques s’élèvent au-dessus de toi. Il ne faut pas s’attarder. Tu ne veux pas t’attarder. Bientôt il fera nuit. Le boyau étroit de la rue encerclée d’antiques maisons baptisés de nom râpeux et étrange teinte le crépuscule d’une trop longue perspective. Les ombres s’allongent, deviennent filiforme. Le soleil se replie vers l’horizon. Les chiens errants ont les oreilles basses. Les autres, se figent en statue, sous les pergolas colorées style « Art Deco » qui font la fierté de ceux qui ont la chance unique d’en être propriétaires. Tout est brouillé et le flou a effacé la moindre ligne de fuite. L’horizon est bouché. Les trottoirs défilent à la vitesse apeurée de ton pas. Que cherches- tu ? Quel est ton but ? Aujourd’hui, tu n’oses pas observer la foule dense des passants. Tu ne les connais pas. Ils n’ont pas de visage.
Ils n’en ont jamais eu. Tu as toujours remonté la rue du Pont-Neuf. Plusieurs fois. Trop de fois. Trop vite. Trop vite pour détailler les visages. Tu n’avais pas le temps. Tu ne te souviens pas avoir déjà vu des passants, pas plus que des visages, ici, dans cette rue. Tu ne te souviens pas l’avoir remontée au milieu des centaines de bruits de pas. Les pas d’une foule qui aurait monté ou descendu ou bien traversé cette rue. Il y a forcément des pas. C’est inéluctable. Au départ, bien avant que tu ne la remontes. Cette rue étranglée par ses vieilles maisons a vu des visages. Ceux-là mêmes qui donnèrent un nom à ces maisons. Un nom à cette rue. S’est-elle toujours nommée ainsi ? Rue du pont neuf ?
C’est effrayant. Tu as peur. Tu marches droit devant toi. Tu cherches avidement quelque chose devant, là-bas au bout de la rue. Un souvenir ? Une couleur ? Une forme ? Tu sais que tous les horizons sont bleus. Du moins, tu crois t’en souvenir. Le reste, tu l’as oublié. As tu tout oublié?
Qu’y avait-il, ici, avant la rue du Pont-Neuf ? Un pont de pierre enjambant l’eau bleue ? Était-il recouvert de bitume ? Combien de fleurs ? Combien de couleur ? Tu ne te souviens d’aucun pont, d’aucune fleur. Tu ne peux pas te souvenir de ce temps. Ce temps est trop vieux. Le temps où aucune foule ne parcourait aucune rue dans aucune ville. Avant les autoroutes, les avenues, les places, le bitume. Il n’y avait pas même un avion qui aurait décollé loin devant à l’horizon pour gagner le ciel immense. C’est certain.
Aussi certain que tu es là au présent avec ton tee-shirt blanc et ton pantalon de toile grise. C’est certain. La seule certitude qui te reste : entre en train de remonter la rue du Pont-Neuf. Du rythme de tes pas sur le bitume chaud. De l’acidité de l’odeur de transpiration sous la lessive que tu as toujours utilisée pour laver ton tee-shirt de coton. Tu sais bien, celle qui détache et le rend d’un blanc aveuglant. Les fleurs sont là, sèches et flétries. Par endroit simple trognon de tige brune et friable cramée par le soleil. Il n’y a personne pour songer à les arroser. Les fenêtres des maisons sont noires. Les visages sont ils cachés là? Tu ne peux pas les voir. Ils se terrent au fond des pièces du rez de chaussée. Se fondent dans l’obscurité des sous-sols de terre battue. À la recherche du frais. La couleur des pétales flétris des fleurs leur est indifférente. Tu remontes la rue du Pont- Neuf, tu la reconnaît. Pourtant, il manque quelque chose pour que cette rue, celle du Pont-Neuf . Quelque chose de la rue du Pont-Neuf. Un détail. Infime. Sans importance, primordial, essentiel. Son absence te fais douter d’être en train de remonter cette rue. Celle que tu nommais rue du Pont- Neuf.
Peut-être voudrais tu que l’on t’arrête ? Que l’on prononce ton nom ? Qu’un passant te regarde ? Qu’il siffle légèrement entre ses lèvres rouges pour te témoigner son admiration. Juste un petit sifflement amical. Pas grand-chose.
Comme avant, du temps de ta jeunesse, comme quand tu avais des amis à qui confier tes peurs, avec qui tu remontais la rue du Pont- Neuf . Tu sifflais avec eux, au milieu d’eux. Tu ne marchais pas si vite le long du trottoir. Tu n’avais pas besoin de plus. Pas besoin que l’on t’admire. Tu n’avais pas de tee-shirt blanc et tu n’avais certainement pas peur de te salir. Tu sautais à pieds joints dans la boue des flaques le long des trous qui parsemaient le trottoir. Tes bottes se salissaient. Les passants te regardaient. Tu n’avais peur de personne. Tu étais si jeune. Alors, et tu remontais la rue du Pont-Neuf sans usure. Infiniment. Le front haut, tu regardais tout autour. Devant. Loin. Il n’y avait personne.
Tu savais pourtant qu’il y aurait toujours quelqu’un, un passant, un inconnu, qui te relèverait, qui frotterait la boue de ton tee-shirt et qui te dirait de ne plus avoir peur. La rue du Pont-Neuf était la même, les feuilles d’automne jonchaient le sol brun et tes cahiers que tu choisissais toujours bleus le jour de la rentrée, sagement rangés dans ton dos avec ton crayon neuf et toujours bien taillé. Tu ignorais la peur. Et tu remontais la rue du Pont-Neuf comme toutes les autres rues.
C’était un autre temps. Es-tu capable de t’en souvenir en détail ? Était-ce réellement ici ? Tes pieds accrochent les trous du trottoir. La peur te fait douter. Les fleurs étaient elles rouges ? Dans ton souvenir, c’était plutôt des petites taches dorées. Peut-être jaune. Peut-être même des pissenlits. Ces fleurs jaunes se nomment-elles pissenlits ? Tu pourrais prendre le temps d’affuter la précision de ce détail. Si tu ne marchais pas si vite. Si tu n’avais pas si peur.
Le temps a passé, la foule lasse et usée est partie. Tu es seule à la merci de l’âpreté du bitume. Tu as peur, tu as toujours eu peur, d’aussi loin que tu te souviennes. Cette rue n’a jamais existé, ne s’est jamais appelé rue du Pont-Neuf, tu ne l’as jamais remontée ni descendue ni traversée. Seule ou avec des amis. Tu ne connais personne. Tu n’as jamais connu personne.
Tu ne veux pas connaitre ces visages. Aucun regard ne t’es amical, dans cette foule de passants. Personne ne te regarde. Tu es en train de disparaître. Invisible. Il ne reste plus que ton tee-shirt sale, et l’odeur de la peur qui transpire te fait sortir de ta trajectoire. Perdre le cap. Oublier ton but. Tu divagues. Et tes zigzags d’ivrogne de sur le trottoir sont effrayants. Te font oublier. Te font disparaître. Jusqu’à la moindre particule de coton blanc de ton tee-shirt.
Hier, tu remontais la rue du Pont- neuf. Tu ne t’attendais pas à toucher au but au bout de cette rue. Que cherchais-tu ? Il n’y a que d’autres rues au bout de chaque rue. D’autres rues qui convergent au départ de chaque rue, puis qui s’éloignent à l’extrémité opposée. Des rues. Aux bitumes gris. Éventuellement des ponts, des avenues, des chemins, des allées, des sentiers. Des autoroutes, des avions et des océans. Tu insistais.Tu t’entêtais sur ce détail: les avions et les océans.
Hier, tu as cru, au bout de la rue, cette rue que tu empruntes quotidiennement. Que tu connais si bien. Tu y croyais. Fort. Tu marchais droit vers l’horizon. Tu as eu l’illusion d’un quai, un parking, une gare, un coin de pelouse. Même minuscule. Même jaune. Qu’imaginais-tu trouver au juste ? Avant. Avant-hier. Bien avant. Tu l’avais parcourue cette rue. La rue du Pont-Neuf. En long, en large, en travers, de haut en bas. À la montée ou à la descente.
Un jour, même, souviens-toi, tu avais laissé l’empreinte de tes bottes sur le trottoir recouvert de neige blanche. Tu remontais la rue avec lui. Tu n’avais pas peur. Tu lui disais : cette rue, je l’ai choisie. Tu l’as choisie le jour où vous êtes arrivés. Ou bien était-ce le jour où il est parti ? Ce n’est plus très clair dans tes souvenirs. Il neigeait. Il t’avait dit : nous serons bien ici. Il t’avait dit : tu remonteras le long de la rue du Pont-Neuf. Vous aviez remonté la rue du Pont-Neuf. Sans autre but que d’être ensembles. Sous le flou cotonneux des flocons, vous vous étiez arrêtés. Il t’avait dit : il y a une librairie, des arbres et puis aussi des petites fleurs sauvages qu’on laisse pousser le long des trottoirs. Il savait que tu aimais tout cela, tous ces petits détails délicats, qui mis bout à bout finissent par créer une histoire. Les histoires dans les livres qu’il te lisait assis sur le banc. Devant la vitrine de la librairie. Sous ce platane. Il t’avait dit : nous serons bien ici. Tu l’avais cru. Avais-tu vraiment le choix ? Il y a si longtemps. Il n’y avait rien d’effrayant dans cette rue. Juste quelques flocons blancs. Minuscules. Insignifiant . Purs
Aujourd’hui, tout a changé. Tu ne reconnais plus rien. Tu regardes les fleurs. Avec quelle vulgarité elles offrent au regard des passants leurs pistils dorés au subtil parfum. Mortel. Effrayantes. Tu ne t’attardes pas. Tu te forces à ne pas tourner la tête lorsque tu passes devant la vitrine noire de la librairie. Vide. En haut, les cheminées grises des maisons fument. Des chats aux allures de diables filent sous les nuages blancs, le long des chenaux, avant de pénétrer avec un miaulement rauque au hasard des chien-assis.
Tu remontes la rue du Pont-Neuf. Comme tu remonterais toute autre rue. Titubant dans le brouillard opaque. Tu ne vois plus rien. Y a-t-il quelqu’un ? L’écho vide des façades fermées des maisons t’effraie. Tu baisses la tête. Tu fixes le bitume noir. Tu saute de trou en trou. Pour ne pas te perdre. Tu es perdu. Tu ne reconnais plus rien, plus personne cette rue n’est plus celle d’avant. La rue du Pont-Neuf. Elle est beaucoup trop silencieuse. Tu as peur. Tu ne peux pas avoir plus peur. Sinon tu disparaîtrais, invisible sous ton tee-shirt blanc. Personne ne te vois. Pourquoi te regarderaient-ils ? Ils ne peuvent pas te voir puisqu’ils ne te connaissent pas. Ils ne te regardent pas.
Ce n’est pas la rue du Pont-Neuf. Tu n’aurais pas si peur.
Cette rue est pavée de blanc, gris et noir. Tu gardes les yeux rivés au le sol. T’enfonces dans les trous profonds et sombre du trottoir. Tout au fond. Ont-ils un fond ? Pour ne pas te perdre. Tu voudrais disparaître. Tu n’oses pas lever les yeux sur la rue vide. La houle provoquée par la foule des passants est effrayante. Il te faut t’arrêter, t’assoir. Tu sens que tu vas tomber, tu es déjà dans la chute. Tu ne fais que chuter, tu as peur de la chute. Peur de tacher ton tee-shirt. Auréolé de sueur. Peur du regard des passants sans visages.
À présent, tu as peur de tout. Tu choisis de t’assoir ici et maintenant alors que tu remontais la rue du Pont-Neuf . Quand l’as-tu déjà remontée ? Quand t’es tu assise ? Tu t’assois. Il faut que tu t’assoies. Tu as peur. Peur de ce lieu. Peur de cette rue. Peur de ses passants. Ils ne te regardent pas. Ils sifflent entre leurs lèvres serrées le nom sourd de cette rue. Leur lèvres n’ont pas de forme. Aucune couleur. Elles n’existent pas puisqu’ils n’ont pas de visages. Tu as peur, une peur insurmontable. Tu es perdu, c’est certain. Tu as dû te tromper, un peu plus tôt, prendre la mauvaise rue. Faire le mauvais choix. Tu ne connait pas cette rue. Cette rue avec des fleurs indisciplinées croissant en désordre. Fouillis de tiges folles au coin des trottoirs. Piétinées sous les pas des passants pressés. Tu connaissait leurs visages. Tu les connais tous depuis toujours. Tu appelles leur nom. Mais tu as si peur. Tu es assis. Au fond d’un trou du trottoir. Leurs visages sont trop haut. C’est le vent qui siffle. Qui empêche les passants de t’entendre et de t’écouter et de s’arrêter. Un vent qui annonce les orages et les tempêtes.
Ce vent te faisait si peur lorsque tu étais plus jeune. Pourtant ces mots : orages, tempêtes, tu les as appris, ils sont écrits à l’encre bleue sur tes cahiers.
Depuis tu écris si souvent ici sur ce banc de la rue du Pont-Neuf. Tu écris des mots. Ils ne te font plus peur. Ce ne sont que des mots avec leur forme. Tu la connais. Leur couleur. Tu la connais. Prends le temps de lever les yeux.
Tu verras que tu viens de t’assoir sur un des bancs bleus, comme avant. Bien avant qu’hier. Il faisait chaud, tu cherchais à te rafraichir et tu t’étais assise ici, sous le ciel bleu, en dessous des platanes. Ce platane de la rue du pont neuf qui offre un peu d’ombre aux passants. As-tu oublié ? C’est cela qui t’effraie. Tu as oublié ce que tu croyais connaitre. C’est effrayant. Tu as oublié quand exactement tu as fait le choix de t’assoir sur ce banc. Tu ne sais même plus sa couleur. Lève les yeux, arrête d’oublier.
Souviens-toi d’hier. Tu remontais la rue du pont neuf. Comme tous les jours, tu marchais en évitant les trous du trottoir. Comme tous les jours. Les mêmes fleurs sauvages abandonnées à la brûlure du soleil misérables, tassées contre le bord du trottoir. Et les nuances des couleurs de leurs frêles pétales. Les mêmes platanes. Leurs bourgeons éclatant au soleil. Infime, détail, fragile, ciselé dans du papier de soie vert tendre.
Lève les yeux et prends le temps de respirer le parfum des fleurs. De regarder.
Alors tu te souviendras qu’au-dessus de toi, au-delà des toits rouges des maisons, il y a toujours le ciel. Tu te souviendras peut-être même des formes qu’ont laissées les avions là-haut. Traces toujours mouvante. Droit devant eux, au travers des nuages blancs. Tu reprendras ton mouvement. Tu te lèveras de ce banc. Tu lanceras tes bras alternativement au rythme de tes pieds. Tu remonteras la rue du Pont-Neuf.
Tu as fait des choix. Tu as eu peur. Alors tu t’es arrêtée de marcher. Assise sur ce banc. Pour échapper aux passants et à leurs regards froids. Tu as regardé dans ton dos. Tu as ouvert tes cahiers bleus. Que cherchais-tu ? Du blanc ? De l’espace ? Pour ne pas étouffer. Pour disparaître. Tenter de faire disparaître cette peur qui te paralyse depuis trop longtemps sur ce banc.
Tu es assise sur le banc de la rue du Pont- Neuf. Tu couvres le blanc de tes cahiers de tes histoires. Les passants te regardent. Leurs yeux sont effrayants de bleu. Tu voudrais disparaître. Tu voudrais ne plus voir, ne plus sentir, ne plus bouger. Disparaître. Tu as la tête baissée. Tu écris. Immobile. Tu cherches à figer le temps.
Tu es remontée trop loin. Tu as trop écrit. Trop cherché.
La mine de carbone de ton crayon est bien trop sombre. Le bout de tes doigts est déjà noir. Tu disparais, assis à l’ombre des platanes.
Regarde les visages. Leurs visages. Blanchis par la peur. Les étranges visages.
Les passants s’arrêtent. Cessent de remonter sans fin la rue du Pont-Neuf. Arrête d’écrire en boucle les mêmes mots.
Ils s’immobilisent. Tout près de toi. Trop près.
Regarde, ils ne voient plus que toi.
Ils sont immobiles. Pétrifiées de peur. La foule est dense. Ils transpirent. Ils voudraient t’arrêter. T’arrêter d’écrire. Arrêter le noir. Arrêter le temps. Arrêter la peur.
Car il n’y a pas lieu d’avoir peur de quoi que ce soit. Ici et maintenant. Dans la rue du Pont-Neuf. Ils la connaissent tous. Ils l’ont remonté un nombre incalculable de fois.
Cette fois-ci ils s’arrêtent. Avant que tu disparaisse. Les visages te regardent, fouillent, cherchent à voir le tien rivé vers le sol. Grimaçant de peur. Ne les effraie pas. Ils sont si nombreux autour de toi. Ils connaissent les rues. Ils connaissent le temps. Ils connaissent la peur. Comme toi, ils ont parcouru cette rue. Comme toi, ils se sont assis sur ce banc. Comme toi. Mais toi tu ne peux plus être. Tu as oublié la forme de tes doigts, de ton dos, la couleur de ta peau. Tu ne connais plus que les formes multiples des visages de la peur. Tu les répète sans fin.
C’est ce détail. Ce détail perdu qui t’encombre. Te fige dans ta peur. Tu essaies de t’en souvenir. Tu voudrais l’écrire avec la mine pointue de ton crayon. Écrire le temps, le noir, la peur. Avec la précision des détails. Tu saurais comment te relever. Tu pourrais écarter la foule, te frayer un passage sur le trottoir au travers de la peur. Tu transpires, et de grosses gouttes laissent des traces sales sur les pages noircies de ton cahier.
Arrête d’écrire. Tu as le temps. Tout le temps.
Il te l’a dit. Tu étais si jeune.
Juste avant que tu te lèves et que tu disparaisses dans la foule.
Il vient de te le dire. C’était hier. Non avant. Bien avant qu’hier. Il y a si longtemps. Le temps a coulé sous le pont de pierre. Tant de passants, tant de rues. Tant d’avion. Tant de fleurs, de maisons d’arbres et de chats. Tant d’eau. Sous les ponts. Limpide. Transparente.
Comment pourrais-tu te souvenir ? Tu es si vieille.
Tu étais si jeune. Si fragile. Transparente. Tu avais si peur. Il venait de te le dire. Il venait de te raconter des histoires. Des histoires juste pour faire peur. Des histoires écrites dans les livres. Les livres derrière la vitrine de la librairie du Pont-Neuf.
Elle est ici. Devant toi. Tu la verrais si tu levais les yeux. Elle est identique à toutes les vitrines de toutes les librairies. Le long de toutes ces rues. Identiques . La même qu’avant. Du temps où tu avais encore le choix. Où tu avais encore le temps.
Tu es vieille. Si vieille. Depuis trop longtemps vieille. Tu as vieillit bien trop tôt. Tôt ou tard tu va disparaitre. Tu n’as plus le temps. Le poids du temps, le poids de tous ces livres courbe tes épaules vers le sol. Ne le voient-ils pas tous ses passants? Qui te regardent avec leurs yeux d’enfant ? N’aie plus peur. Tu es trop vieille pour avoir peur des silhouettes sombres. Pour ne pas oser lever les yeux sur ces fantômes qui t’entourent. Ils ne t’effraient plus. Ils n’existent que sur les pages des histoires qui ont été écrites à l’encre bleue, sur les pages des livres derrière la vitrine de la librairie de la rue du Pont-Neuf. En face de ce banc bleu ou tu te tiens. Toi assise. Eux debout. Foule parsemée de trous. N’ait pas peur.
Tout à l’heure. Un jour. Tu as le temps. Il te reste tellement de temps. C’est effrayant. Dans un instant, un passant tranchera la foule qui obture la rue du Pont-Neuf. La foule qui colle aux murs des maisons, piétine les fleurs, déforme les arbres, éteint le bleu dans la vitrine. Il remontera jusqu’à toi. Le reflet de son dos dans la vitrine. Il te regardera. Longtemps. Il sait qu’il a le temps. Il l’a toujours su.
Il s’assiéra à côté de toi. Il lira dans tes yeux la peur, et le noir. Ta solitude. Il essuiera les salissures de ton cahier, la sombre empreinte que le crayon a laissée au bout de tes doigts. Il te racontera les fleurs sauvages, le vert et l’immensité du ciel, les avions qui vont toujours droit devant, en direction du bleu de l’horizon. Il te racontera les nuances des couleurs. Alors tu reprendras forme. Tu te souviendras. Tu oublieras les fleurs sauvages aux encoignures, la traitrise des trous du trottoir en-dessous des arbres squelettiques. Il te chuchotera la couleur du banc sur lequel vous êtes assis. Bleu.
Tu te lèveras et tu remonteras la rue du Pont -Neuf. Le front levé. Bien haut. Par dessus la foule des passants.
Tu n’auras plus peur. Tu ne seras plus seule.
Il n’est pas arrivé.
Il ne devrait plus trop tarder. Ce passant. Ce visage connu entre tous les visages, agglutinés autour de toi. Ils sont trop près. Inconnus. Tu as peur qu’ils lisent les lignes noires de tes cahiers. Qu’ils devinent ta peur.
N’ait pas peur. Lève les yeux, relève toi, ferme ces pages, quitte ce banc et remontes la rue du Pont-Neuf. Cesse d’écrire ces histoires qui te font peur. Tu les as tant écrites que tu les connais à présent . Trop bien. Arrête-toi. Oublie-les. Ce ne sont que des histoires pour enfant. Elles appartiennent au passé. Montre, sans trembler ton dos à la foule. L’auréole de sueur dans ton salissant le coton de ton tee-shirt blanc. Ne regarde pas en arrière. Ne remonte pas sur tes pas. Jamais. Remonte le temps. Remonte la rue. Pas plus. Ne te retourne pas. Fixe ton regard haut, droit devant.
Tu t’es perdue. Il y a longtemps déjà.
Tu te souviens maintenant.
Il s’était assis. Il y a si longtemps sur ce banc de la rue du Pont-Neuf. Avec toi. Quelques minutes se sont évaporés. La nuit étais tombée. Il s’est levé et il est parti. Tu étais seule. Seule dans le noir. Seule avec ta peur.
Te voilà revenue à la page départ, tu es encore loin d’avoir remonté la rue du Pont-Neuf. Tu gardes obstinément les yeux baissés sur la page de ton cahier.
Était-il bleu hier?
La page est vierge. Trop blanche. Aveuglante. Tu voudrais remonter la rue, remonter le temps, tu voudrais t’assoir sur ce banc avec lui. Tu voudrais ne plus avoir peur. Tu ne demandes que ça. Juste ça. Si peu. Tu voudrais arriver à l’écrire. Noir sur blanc sur ton cahier. Avec le crayon qui imprime sa forme hexagonale sur la pulpe de tes doigts. Comme une empreinte. Creuse. La tête lourde de vide, penchée à jamais vers le sol. Le noir du bitume t’effraie. Mais tu es si vieille. Le temps t’échappe. Ta mémoire s’efface. Bientôt tu n’auras plus le temps.
Tu étais si jeune. Tu avais si peur. Il venait tout juste de te le dire. De te l’apprendre. Il venait de fermer ses lèvres blanches. Ses derniers mots sonnaient comme une promesse. Personne ne tient jamais ses promesses. Les promesses ne sont pas faites pour être tenues. Il avait oublié de te dire ce détail. C’est tout. Il ne te raconterait plus jamais d’histoires.
Les histoires ne sont que des histoires. Rien de plus. Les histoires sont écrites dans les livres. Elles doivent y rester. Il ne faut pas en avoir peur. Les mêmes livres que ceux, immobiles et poussiéreux , dans la vitrine de la librairie du Pont-Neuf. Là. Devant toi.
Tu la verrais. Si tu levais les yeux. Tu pourrais regarder les livres. Relire cette histoire. Peut-être même, la réécrire. Si seulement tu levais les yeux! Maintenant, à cet instant précis. Une poignée de secondes. Juste le temps de fouiller du regard les noms des livres recouverts de poussière.
Toute cette poussière. Amassée si longtemps, si lentement derrière les vitres sales. De toutes les vitrines. Dans toutes ces librairies. Le long de toutes ces rues. Identiques. Tu connaissais leur nom. Avant, du temps où tu avais encore le choix. Du temps où tu avais encore le temps.
Tu es sur le point de te lever.
Tu va te lever.
Tu te lèveras.
Le temps s’est enfui. Il a sifflé à tes oreilles. Tu es vieille. Trop vieille. Tellement vieille. Usée. Depuis trop longtemps. Si longtemps que tu préfères l’oublier. Tu n’as plus le temps. Le poids du temps, le poids de tous ces livres alourdis de poussière courbe tes épaules vers le sol.
Ne le voient-ils donc pas tous ces passants tout autour du banc ? Il te regardent avec leurs yeux bleus. Un peu délavé. Le bleu du temps de leur jeunesse.
Tout à l’heure. Un jour. Tu as le temps. Il te reste tellement de temps. Ça en est effrayant.
Il arrivera.
Ce temps est proche. Il approche. N’ait plus peur. Tu t’es perdue. Il y a longtemps déjà. Tu te souviens maintenant de ce détail manquant.
Il n’a pas pris le temps de t’apprendre les couleurs. Il n’a pas pris le temps de te regarder. Et toi, tu as a appris la peur. La peur tenace. La peur d’avoir peur. Elle ne t’a plus quittée lorsqu’il s’est levé. Il a fait le choix de partir. C’est lui qui a choisit. Son dos s’est effacé dans la mauvaise rue. Celle dont tu ignorais le nom. La seule dont il ne t’avait pas appris le nom. Identiques à toutes les autres rues. Aux rues qui prolongent la rue du Pont-Neuf. Comme aussi toutes les autres qui s’y rejoignent. Il t’a laissé la peur. Seulement la peur.
La peur de cette rue. Cette peur qui te paralyse à tous les carrefours. La peur de toujours faire les mêmes choix. Les mauvais choix. Ceux qui te font sans cesse remonter les rues aux fleurs inodores. Aux arbres nus et aux cieux transparent.
Alors tu fouilles, tu cherches, tu écris inlassablement les silhouettes sombres des passants et les feulements des chats sur les gouttières. Au sol, les feuilles craquent. À jamais. Des feuilles jaunes et sales. Tu les recouvres de noir. Tu les déchires avec la mine sombre de ton crayon. Tu écris pour ne pas oublier. Oublier la couleur de ce banc. Oublier qu’il n’y a pas que le noir. Oublier le nom de cette rue que tu as tant remontée. Trop remontée. Usée. Comme la mine de carbone qui crisse sur le tapis de feuilles mortes. Jusqu’à effacer son nom. La forme de son dos qui ne s’est pas retourné. Qui ne se retournera plus. Jamais. Tes yeux sont secs de larmes.
Tu as eu froid.
Sous ton tee-shirt détrempé.
Un long frisson glacial le long de ton dos.
Ici comme partout ailleurs, le temps passe. Vite. Trop vite. Dans la rue du Pont-Neuf. Ni plus vite ni plus lentement que dans toutes les autres rues. Aussi vite que l’eau coule sous les ponts. Tous les ponts. De tout temps, les ponts enjambent le bleu des rivières. L’évitent. Le craignent. Le Pont-Neuf, y compris — s’il existe — comme la rue du même nom et comme tous les autres ponts. Tous ceux que tu as traversés. Si souvent. Ce bleu-là, emporté par les rivières ne peut s’atteindre. Jamais. Il ne faut pas que cela t’effraie. Ce n’est que de l’eau. Il n’ y a qu’un pont à traverser. Ce soir, rue du Pont-Neuf, tu prends enfin le temps. Tu affrontes le noir. Tu cherches à déchiffrer les lignes de hiéroglyphes obscures qui recouvrent tes cahiers. Tu lis la peur. Bientôt, elle t’aura quitté. Tu lis. Pour occuper le temps. Trop creux. Pour noircir tes cahiers. Trop vides.
Tu as toujours aimé lire. Tu as beaucoup lu.
Mais tu as dû patienter tout ce temps pour avoir le temps de lire. Tu as oublié de lire. Tu n’as pas assez lu.
Tu pourrais l’écrire.
Tu devrais l’écrire.
Car tu n’as plus peur de l’écrire.
Sur ton cahier bleu, tu traceras ton chemin. En long, en large et en travers du trottoir vide. Tes illusions ne te pèseront plus. Toute l’eau aura coulé. Sauvage. Emportant sur son passage les fleurs, les arbres, les chemins, et les ponts, engloutissant les autoroutes.
Toi seule te souviendras. Tu te souviendras qu’il ne faut pas avoir peur. La peur n’a ni forme ni couleur. Tu n’avais jamais connu la peur. Rien ne pourra t’arrêter. Tu marcheras droit devant toi. Tu remonteras la rue du Pont-Neuf.
Là-bas, au bout de la rue. Tout en haut. L’horizon.
Tu trouveras, un quai, une place, un parking recouverts de fleurs des champs, multicolores, un coin de pelouse verte où t’asseoir.
Tu le sais. Tu l’as toujours su. Depuis toujours. Tous les horizons sont bleus. Sans exception.
Tu l’as écrit, ici même, sur les pages de tes cahiers bleus. Il y a si longtemps. Tu ne cherchais rien alors. Juste atteindre le bout de la rue. La rue du Pont-Neuf. Qu’aurais-tu pu bien chercher ? Qu’il ne t’ait pas déjà dit. Il t’avait dit qu’au bout des rues on ne trouve que des rues. D’autres rues. Qui montent ou qui descendent qui partent puis qui reviennent. Toujours. Des rues, des ponts, des avenues, des chemins, des allées, des sentiers. Des autoroutes, des avions et des océans même. Et encore, il n’en était pas certain. Il n’avait pas encore pris le temps de remonter toutes ces rues.
Hier tu as cru trouver.
Tout au bout de la rue du Pont-Neuf, que tu as remonté si souvent. Tu y croyais si fort en marchant. Tu imaginais trouver un quai, un parking, une gare, un coin de pelouse jaune. Pas plus. Tu cherchais juste à t’assoir. Sous l’ombre verte d’un arbre. Te reposer. Un tout petit instant. Si peu. Souffler. Enfin. De toutes ces marches, ces montées, ces descentes. Toujours seule. Sur les trottoirs de ces rues toutes identiques. Pourquoi t’es tu arrêtée ?
Un jour. Ce jour précis où il est parti avec ta mémoire. Il neigeait rue du Pont-Neuf. Tu avais laissé sous tes pas l’empreinte de tes bottes. Toutes neuves. Toutes jaunes. Sur le trottoir emmitouflé de neige blanche. Ta bouche fumait. Comme les cheminées des maisons. Tu avais levé la tête. Pour fixer les détails de la couleur de ses yeux . À jamais. De quelle couleur étaient-ils ? Noirs ? Bleus ? Il te semble un peu rouge ? Du moins tu l’espères. Et dans la fumée s’échappant de tes lèvres — bleuies par le froid — tu lui avais dit : cette rue je l’ai choisie. J’ai choisi ce banc. Depuis le jour de notre arrivée. Ici et maintenant. Souviens-toi ! Il neigeait ce jour-là. Ses yeux étaient bleus. Il t’avait dit : nous serons bien ici. Il t’avait dit : nous remonterons le long des trottoirs de la rue du Pont-Neuf. Regarde ! il y a une librairie, des arbres et puis aussi des petites fleurs sauvages qu’on laisse pousser le long des trottoirs. Il savait que tu aimais tout cela, tous ces petits détails délicats qui mis bout à bout finissent par prendre la forme d’une rue. Il te connaissait bien. Il t’avait dit : nous serons bien ici. Tu l’avais cru. Avais-tu eu d’autre choix ?
À L’instant exact où tu écris ces mots, tu as changé. Tu as vieilli. Il s’est passé tellement de temps. Le temps transforme tout. Il défigure les rues. Pas celle du Pont-Neuf. Toutes, sauf elle. Est-ce cela que tu écris sur ton cahier ouvert, posé sur ton pantalon de toile grise ? Assise sur le banc qui fait face à la vitrine de la librairie. Tu t’es arrêté, tout à l’heure. Tu ne sais plus trop quand. Arrêter d’écrire. Pour reprendre ton souffle. Court. Tu écrivais la peur. Tu n’écrivais que ça. Infiniment. Vas-tu enfin écrire ce détail qui te fais si peur? Dans cette rue. Dans la foule grouillante des inconnus, qui te frôlent, qui te bousculent. As-tu peur de toi même ? De l’inconnu qui viendra à toi ? D’ignorer ce que tu cherches ? D’avoir oublié ce que tu trouveras au bout de la rue ? De cette rue du Pont-Neuf.
Tu le sais, tu as fait si souvent ces gestes. Marcher, un pied devant l’autre c’est si simple. Enfantin. T’assoir sur un banc avec lui, puis sans lui. Ouvrir à l’air frais les pages de ton cahier. Prendre ton crayon — il t’a montré comment en tailler la mine — Vous étiez encore ici. Tu en doutes. N’était-ce pas hier ? La rue s’appelait-elle rue du Pont-Neuf ? Était-ce une autre rue ? Était-ce un autre banc ? Y avait-il des arbres et des fleurs sauvages ? Semblables à ceux-ci, tout autour de toi ? Que cherches-tu au juste depuis tout ce temps ? Une forme ? Une couleur ? Un mot ?
Les mots existaient-ils ? Savais-tu les écrire? Y avait il une librairie dans cette rue ?
Lève les yeux ! Regarde devant toi ! Droit devant ! Rien n’a changé, tu es toujours assise seule. Face à ton reflet sur la vitrine de la librairie. Rien n’a changé. Tu as juste vieilli. Le banc est encore bleu. La peinture a terni, s’est écaillée. Mais a su résister aux orages, aux tempêtes et au fracas blanc électrique des éclairs aveuglant.
Regarde! c’est exactement le même bleu. Identique. Tu ne prends seulement plus le temps. Car tu es vieille. Et cela demande beaucoup de temps. Le temps d’écrire. Pour ne pas oublier ces souvenirs si fugaces. Tes pieds sont ancrés dans le sol brun. Sous les platanes. Tu prends racine. Tu l’as choisie. Tu as fait le choix de t’arrêter de marcher. De mettre fin à tes recherches.
Tu as usé toute la semelle de tes bottes. Tu as du écrire trop souvent pour raccourcir ainsi, la longueur restante de ton crayon à la mine toujours bien taillé. En carbone noir. Trop taillée. Trop souvent. Tu as parcouru mille fois cette rue. La rue du Pont-Neuf. En long, en large, en travers, de haut en bas. À la montée ou à la descente. Tu l’as usé. Tu as taillé ton crayon. Mille fois. Tu as couvert d’encre noire les pages de tes cahiers. Tu as écrit. Trop longtemps enraciné sous ce platane au banc bleu.
N’ait plus peur. Tu oublies qu’il te suffit de lire. Ce que tu viens juste d’écrire.
Souviens-toi du jour. Juste celui-là. Celui où il venait de neiger. Aucun autre. Pas un de plus. Tes pas traçaient l’empreinte de tes bottes neuves sur le trottoir recouvert de neige blanche. Dans ton dos. Il tenait ta main pour la protéger du froid. Vous remontiez la rue du pont neuf. Et vous vous étiez arrêté devant la vitrine de la librairie. Vous aviez regardé les livres. Les livres vous regardaient. Ensuite tu ne souviens pas si vous étiez rentré dans la librairie pour acheter un de ces livres rempli d’histoires. que tu aimais tant qu’il te lise. Qu’il aimait tant te raconter. Ou si vous étiez rentrés en laissant derrière vous la double trace de vos bottes sur le trottoir immaculé de neige.
Il ne te reste de ce jour-là que le silence feutré des flocons dansant sous le vent léger. N’ait pas peur de te souvenir. Il faut que tu te souviennes. Pour ne plus avoir peur. C’est simple. Aussi simple que ce souvenir de la rue du pont neuf sous la neige.
Il te reste tant de rues à remonter, à descendre, à traverser. Tant de ponts, d’avenues, de chemins d’allées, de sentiers. D’autoroutes et d’avions. Tant d’océans et tant d’horizons.
Tu as renoncé à remonter la rue du Pont- Neuf. Tu as fait le choix de t’assoir. Peu importe quand. Tu as fait ce choix. Pas n’importe où.
Il faut que tu t’en souviennes cette fois. Du blanc. Du blanc si pur de la neige. Dépêche- toi avant qu’elle ne recouvre tes doigts, ton tee-shirt, ton cahier et ton crayon. Car le blanc de la neige est total. Uniforme. On ne reconnait pus les formes. Les couleurs s’oublient. Hâte-toi d’écrire tout cela. Le temps presse. Un flocon de neige vient mouiller la page ouverte. Le vent souffle fort dans ton dos. Glacial, plaque ton tee-shirt mouillé sur ton dos. Siffle l’orage et la tempête. Susurre à tes oreilles.
Alors tu prends ton crayon. Tu écris sur ton cahier. Tu écris une histoire. Cette histoire. Ce n’est que le vent qui souffle à tes oreilles, des histoires. Tout un tas d’histoires. Rue du Pont-Neuf. Ton histoire.
Tu lèves enfin la tête. Devant toi plus d’inconnu. Des formes des couleurs dont tu as eu le temps d’écrire le nom. La neige est blanche. Le temps a passé. Il a fait nuit trop tôt. Ne reste que les traces de bottes des passants qui salissent le tapis de ouate blanche sous le halo jaune des réverbères.
Il n’y a pas de fleurs sauvages, ni de vert, ni de bleu. L’horizon est étouffé par la brume. Tu n’as plus peur. La vitrine de la librairie est baignée d’une lumière rassurante. Maintenant tu le sais. Tu l’as écrit. Ici et maintenant. La foule est partie. L’eau a emporté l’odeur. L’odeur de ta peur. Tu peux te lever sans crainte. Tu es seule.
Tu remontes la rue du Pont-Neuf.
Tu n’auras plus jamais peur
Une très très longue traversée comme en cauchemar, labyrinthe retrouvé au loin chez Le Clézio dans sa nouvelle « La Ronde », quand soudain le camion surgit comme un Minotaure… et quand rien n’est encore dit sur la source de la peur qui enfle, tout se devine, la peur du temps qui avance et avale… et soudain la source de la peur, ce vent d’étrange, devient brume et neige, tout s’étouffe et tout revit, malgré les disparitions des souvenirs, et parce qu’il n’y a plus de souvenirs, c’est la délivrance.
Merci Françoise de cette lecture attentive et de cette analyse juste
Merci, Géraldine ! Pour écrire si bien, pour bouleverser tellement.
Merci à toi Helena ☺️
Épatant. Bravo!
Merci Betty d’être passée lire