Ils marchent comme ils ont déjà marché autrefois. L’un près de l’autre sans jamais se toucher. L’un dans ses pensées. L’autre dans les siennes. L’aîné et le cadet. Les deux frères à jamais porteurs de leur enfance commune. Semblable et différente. Ici, ou dans un ailleurs. Ici c’est le nouveau pays, ailleurs c’est celui de l’enfance. Mais l’attitude est identique. Un demi-pas en avant pour l’aîné. Un demi-pas derrière pour le cadet. Peut-être bien qu’avant le pas était plus soutenu plus rapide. On a assimilé le pas du père. Celui du chemin près de la maison. Celui pour aller s’occuper des champs. Gildo raconte un peu la vie au village depuis le départ d’Antonio. Dans les lettres on n’avait pas tout dit. Ils grimpent la rue qui va de la gare au centre-ville du pas de ceux qui ont déjà vécu. Ils sont jeunes pourtant. Mais sans beaucoup d’illusions. On dirait la rue qui monte dans le centre de Bassano…Tiens ce pourrait être la maison de Gina, regarde on dirait les mêmes rideaux derrière les fenêtres… On croit partir très loin et l’on se retrouve dans le même univers Chacun parle comme s’il se parlait à lui-même. Ils passent devant une maison soutenue par des étais de fortune. En face de la maison de Gina, il y a une maison abandonnée qui se délabre. Si on était resté là-bas cela aurait pu être un lieu pour nous avec Mafalda. Mais on a choisi de venir ici. De toute façon pas de travail, alors...Les deux hommes empruntent une rue plus commerçante, avec des boutiques recherchées de mode ou de mobilier. Gildo jette un regard en coin, comprenant vite que ce n’est pas là qu’il faudra venir. Entre ici et là-bas, c’est la même chose. Il y a des lieux où on peut. Et d’autres où on ne peut pas.Antonio, sans doute nostalgique d’un là-bas qu’il n’a pas revu depuis sept ans parle de la ruelle commerçante de leur village. Il n’y a que le nécessaire mais on n’y perd pas son temps.. Un boulanger, une épicerie, un boucher, un bazar, et le réparateur de vélos. Le café bien sûr. Et la vie est faite. Ici on ne sait pas où aller. Alors qu’Antonio semble gagner par une nostalgie de son pays d’origine, Gildo pense qu’on ne peut bien voir un ici quand on erre encore dans un là-bas. Venir en France, et couper les ponts : c’est la seule chose à faire se dit-il. Son pas se raffermit, son dos se redresse, son regard porte plus loin. Trouver un logement, ne pas dépendre d’Antonio pour cela. Commencer une vie nouvelle. Même si c’est une illusion que cette sensation d’avoir pris le large.