La Mère
On parlera d’abord de la mère.
On ignore à quoi elle ressemble. Elle n’apparaît sur aucune cliché. Les photos c’est elle qui les prend. C’est donc elle qui, en quelque sorte, mène le récit. Qui le construit, qui l’anime. C’est dans ses yeux qu’on se glisse en regardant ces photos. C’est elle nos yeux, notre regard sur cette histoire. C’est elle qui nous fait entrer au creux de cet été-là. On tentera de la lire à travers ses clichés. De comprendre ce rapport qu’elle a au monde. Aux autres. Et à elle-même. C’est un personnage qui se cache derrière son appareil, derrière ses photos. Un personnage qui travaille à disparaître. Mais qui par ailleurs, lutte peut-être pour organiser des traces de son passage. On l’imagine aisément de biais, le regard fuyant. Il y a en elle un forme de tristesse, de mélancolie. Quand on sait que son mari est sur le point de la quitter, c’est une chose qu’on peut comprendre.
Le Père
Le père n’apparaît sur aucun cliché. C’est son dernier été familial, après il disparaîtra presque complètement de la vie de cette famille. Il s’en ira vivre avec une adolescente aux lèvres charnues et aux seins généreux. Une jeune femme qu’il trouve belle et qui est laide. Une de ses étudiantes, dont il doit attendre patiemment la majorité afin de ne pas être poursuivi pour détournement de mineure. En creusant un peu, bien sûr on peut retrouver quelques souvenirs. Celui d’un homme qui cuisinait des bananes cuites pour les enfants et qui brûlait la sauce caramel. Celui aussi qui avait attrapé de ses mains une bête, une fouine ? Mais qui l’ayant mordu s’était retrouvé les mains en sang. Ce qu’on peut dire encore c’est qu’il part chaque été en vacances avec ses meilleurs amis. Qui ne ne sont pas les amis de sa femme. Peut-être sa femme n’a-t-elle pas d’amis. L’homme est un ami d’adolescence. Un homme qu’il a fréquenté aux mouvements de jeunesse. La femme c’est une autre histoire.
L’amie
L’amie il la connait depuis longtemps. Il avait vingt ans, elle en avait dix sept. Ils se sont fréquentés. Il l’a courtisée. Il était amoureux d’elle, très amoureux. Puis elle a rompu. Soudain. Sans qu’il en comprenne le pourquoi. Lui était fils d’un patron d’entreprise. Son père fabriquait les premiers gaufriers électriques. Elle était fille d’un ouvrier de l’usine. La différence de classe sociale n’est pas la raison pour laquelle elle a rompu. Elle a rompu car elle a pris conscience que ce jeune homme était instable, torturé. Même si par ailleurs il était plein de charme, qu’il écrivait des poèmes et peignait un peu comme Modigliani.
L’ami
C’est depuis l’adolescence le meilleur ami du père. Il se sont connus aux mouvements de jeunesse. Ils étaient toujours fourrés ensemble. Quand l’amie quitte brusquement le père, le père est désemparé. Il ne comprend pas. Néanmoins, il achète un bouquet de fleurs. Et il envoie son meilleur ami le lui apporter. L’ami et l’amie se rencontrent. Ils se plaisent. Se fréquentent et se marient. Plus tard, le quatuor prendra systématiquement ses vacances ensemble. La mère là-dedans, coincée entre un grand amour et un ami avec qui on fait les quatre cent coups n’a probablement pas son mot à dire.