Comme je l’ai dit, c’est à travers lui, Bertrand Ducrozet, vers lequel un ami m’avait orienté pour tout autre chose que j’ai découvert cette œuvre, ou du moins son existence. Oui, comme je l’ai dit c’est Daniel Formier qui avait parlé de lui lors de ce diner chez sa sœur chez qui il était de passage. Marie-Jeanne Delafosse, avec laquelle nous épiloguions sur le peu que savions du passé de cet endroit, si ce n’est un peu de l’histoire, comme partout. Nous a dit que devrions interroger Ducrozet. Nous a dit que l’avait rencontré en ville. Nous a dit qu’ils s’étaient connus au lycée de Valence. Nous a dit que s’étaient perdus de vue comme toujours avec la vie. Nous a dit que Ducrozet n’était revenu ici, dans la maison de sa famille, que depuis peu disait-on, mais que, comme nous l’avait dit, l’était d’ici Ducrozet. Nous a dit que c’était un peu un ours, croyait-il toujours, comme dans leur jeunesse, mais un ours aimable quand acculé. Nous a dit que bien entendu n’irions pas. Nous a dit qu’il pensait que ce serait bien. Nous a dit qu’il allait nous forcer et il a téléphoné devant nous. Nous a dit ensuite que c’était d’accord, qu’il était aimable Ducrozet comme il l’avait dit, et que puisque Marie-Jeanne ne pouvait et n’osait pas, je devrai y aller. Et puis m’a lestée de tout ce qu’il savait de son ami.
Comme je l’ai dit ils s’étaient rencontrés en terminale au lycée de Valence où ils habitaient alors lui Ducrozet venu d’ici, pensionnaire chez une vieille femme, et lui Daniel Formier qui habitait alors là avec sa sœur Marie-Jeanne chez leurs parents. Comme il me l’a dit, ils étaient devenus amis. Comme me l’a dit, eux les Formier n’étaient arrivés à Valence que depuis l’été – leur père était je ne sais trop quoi dans l’Administration. N’avaient pas beaucoup d’amis, au moins au début, tous les deux, Bertrand et Daniel, n’étaient pas de Valence, n’avaient pas grandi avec leurs camarades, même si bien sûr Bertrand avait même parler que les autres, mais, comme me l’avait déjà dit, il était un peu ours. Ils s’étaient perdu de vue après le bac quand lui Daniel était entré en fac de lettres à Nanterre. Mais, comme il me l’avait dit, ils s’étaient rencontrés lors d’un de ses précédents passages chez Marie-Jeanne, et s’étaient retrouvés comme amis de toujours ; pendant une nuit dans la maison de Ducrozet s’étaient racontés. Oh ne me donnait pas de détail, d’ailleurs ne savait pas tout bien entendu, c’est court une nuit et puis on n’offre pas un ami comme cela. Il avait fait marine marchande Ducrozet, et pas mal circulé, d’abord des allers-et-retours entre Sète et Alger, Oran et d’autres ports sur l’autre rive sans doute. Il s’était marié avec une jolie blonde bouclée et souriante selon une photo posée de traviole sur une étagère et tout de suite après ou presque il s’était embarqué sur un bateau d’exploration sous-marine – n’avait pas dit pourquoi et ce n’est pas une question que l’on pose quand on retrouve un ami. Juste dit qu’elle était morte dans un accident de voiture, qu’un imbécile qui conduisait trop vite s’était tué avec elle et que lui, à Saint-Denis de la Réunion, après une très sale chute et une fichue fracture qui avait nécessité une opération, en sortant avec une patte folle de l’hôpital où il avait eu nouvelle de sa mort, il avait décidé de rester là. Il avait été l’assistant et puis l’associé d’un chinois qui faisait du commerce et il avait aimé cette vie, disait-il. Et juste avant qu’ils ne se quittent Daniel et lui il avait ajouté qu’il avait une amie, une très jeune amie et qu’elle s’était mariée, qu’alors il s’était senti très vieux, avait pris sa retraite, était rentré.
Comme je l’ai dit Daniel Formier nous avait forcées, Marie-Jeanne et moi, à aller visiter Ducrozet mais comme je l’ai dit Marie-Jeanne avait décidé qu’elle ne le pouvait pas. Parce que depuis son enfance Daniel décidait et que depuis qu’elle le pouvait elle disait non. Il était comme ça Daniel, disait-elle, et puis elle me demandait de l’excuser, il n’était pas bien en ce moment. Comme me l’avait dit quant je l’avais vu pour la première fois chez elle, il était agaçant mais d’après ce qu’elle en savait justement pour cette attention qu’il avait, sans trop forcer d’ordinaire, ses élèves l’aimaient. Il avait été longtemps un solitaire qui avait besoin d’être entouré. Elle s’inquiétait et elle avait été heureuse d’apprendre qu’il avait trouvé à Rouen, où il était maintenant, un compagnon. Comme elle me le disait, il n’avait plus rien de sombre Daniel, il était détendu, il avait moins besoin de gouverner ceux à qui il s’intéressait. Elle espérait qu’il lui présenterait son ami, mais s’il était ainsi maintenant c’était parce qu’était survenue une brouille. N’en savait pas davantage, espérait que cela s’arrangerait. M’a dit « tu me raconteras votre rencontre. »
Comme je l’ai dit j’ai trouvé Bertrand Ducrozet, qui s’attendait à ma visite probable mais sans qu’une heure ait été fixée, au fond de son petit jardin. Comme je l’ai dit, je le regardais un moment, sa taille moyenne, les assez courtes jambes colonnes, les épaules larges, la couronne de cheveux et le bout de crâne nu aussi – il n’avait pas la coquetterie de raser entièrement ce qui restait, ou il avait la coquetterie de ne pas le faire, on n’aurait su le dire, on l’acceptait ainsi – et quand il se retourna les petites rides au coin des yeux très foncés et brillants, le visage étonnamment lisse, le grand nez | pas très beau en fait, mais on l’oubliait rapidement quand il laissait filtrer sa gentillesse sous la réserve, quand il laissait croire qu’il ouvrait la porte à ce qu’il était, quand on lui était sympathique en fait. Comme je l’ai dit, le prétexte de cette rencontre organisée par Daniel Formier était l’éventuelle connaissance de la petite histoire passée de la ville qu’aurait son ancien camarade, mais, comme il était probable, il n’avait en fait pas grand chose à en dire. Ce qui n’empêcha pas que nous devenions amis ou au moins familiers. Et qu’après un dîner chez Marie-Jeanne, avant le départ de Daniel, se forma un petit trio, un drôle de trio, aux liens assez lâches, mais suffisamment et silencieusement solides pour que nous nous passions de toutes les formalités, toutes les civilités de rigueur – surtout dans le cas de Marie-Jeanne en digne sœur de Daniel. C’est ainsi qu’elle brandit un jour un livre de poèmes trouvé dans la bibliothèque de Ducrozet, lu quelques vers à voix haute, s’extasia, attendit un peu la réaction de notre ami pendant que j’avais le désir de disparaître ou de la gifler pour son indiscrétion. Comme je l’ai dit, Daniel nous avait rapporté la petite phrase faisant allusion à un amie, très jeune, et qui s’était mariée là-bas, à la Réunion, avant qu’il décide lui de revenir en France. Il a souri, il lui a pris le livre, l’a regardée avec peut être une infime trace d’ironie, a déclaré que oui, c’était l’oeuvre, publiée grâce à l’aide de ses parents, d’une jeune amie, qu’elle était charmante mais que ce qu’il voulait nous montrer c’étaient deux statuettes et un grand assemblage de végétaux secs, cailloux, tôle, ce que lui avait donné Mehdi Arthemise, le garçon bourré de talent qu’elle a épousé la jeune Clarisse, un garçon qui commence à être connu dans l’île et devrait avoir une exposition à Angers (pourquoi diable ?) bientôt. A dit qu’ils étaient très heureux, qu’ils lui écrivaient comme à un vieil oncle et puis, pendant que Marie-Jeanne se penchait sur les plantes qu’elle lui avait amenées pour son jardin et qui prenaient mal, il m’a montré des dessins de Mehdi, plus forts et étranges. Disait qu’il espérait qu’il poursuivrait dans cette voie. Comme je l’ai dit j’ai eu le sentiment que se dessinait là le début d’une œuvre.
eh bien moi je dis que ce n’est pas du tout «américain», cette cheville !
oui, en les reprenant et reprenant et reprenant (au risque d’en faire trop et d’entraîner le ton du reste)
En cheville surtout, avec le talent d’écrire dans le souvenir d’une belle rencontre fictive ? Qu’elle soit réelle ou virtuelle, peu importe… On a vraiment envie d’en savoir plus sur cet « ours aimable quand acculé », américain ou pas, on se doute que sa misanthropie pour ne pas craindre pire, ou son éloignement de l’endroit où il a aimé, a été l’une des conditions de cette rencontre à trois un peu surréaliste. Bien sûr , je suis allée chercher les personnages sur internet. J’ai vu que Bertrand pouvait s’appeler Pierre, qu’il aurait pu être le fils du chanteur Jean René, que Daniel Formier existait et qu’il était « Pratiquant d’arts martiaux mixtes américain » ( un costaud peut-être pas trop ours…), que Marie- Jeanne était morte en 1985 à 70 ans et que Mehdi Arthémise existait aussi, mais rien à voir avec le dessin ! Avec tout ce melting-pot de portraits je me demande ce qui va se passer dans cette histoire de retrouvailles ou d’autre chose. Vous avez pris plaisir à utiliser les formes narratives de relance de Gertrude Stein et cela devient rigolo dans votre périple. Les portraits sont succulents.
merci
et quant aux noms pas facile d’en trouver qui sonnent vraisemblables et n’existent pas… pour Mehdi suis ahurie, tant pis les homonymes ça existe
un vrai petit côté Sarraute quand même
vraiment très réussi… et quel voyage, et quel portrait de Bernard D. !!
ai tenté de m’en éloigner de notre Gertrude à nous (ou du moins à moi ,sourire)
désolée même si je suis presque dans un trou d’activité je n’au pas le temps de vous lire correctement ou même tout court et même si ne vois presque rien comme spectacle cette année et me fait rare à Rosmerta ça ne va certainement pas s’arranger … lirai en août en paix mais trop tard pour tenter de commenter ce qui n’est pas plus mal
Une langue étonnante, j’aime bien ce que tu oses dans la foulée de Stein. Les vies les voix se déplient en souplesse jusqu’à nous. Merci Brigitte.
merci
oui, c’est gonflé! et j’aime beaucoup les noms de ces personnages, moi qui suis fâchée avec les noms de personnages
moi aussi à vrai dire mais un brusque besoin de m’y retrouver dans ces passants