Comme je vous le disais un rien le fait sursauter. Un rien le fait fuir. Pire qu’un sicilien. Il n’est pas sicilien je vous l’ai déjà dit je crois. Enfin je ne crois pas qu’il l’ai jamais été. Je me souviens vaguement que sa petite amie devait l’être. Lui c’était P. et elle aussi son prénom commençait pas un P. Mais peut-être que je vous l’ai déjà dit. Je dis pire qu’un sicilien c’est une façon de parler évidemment. Enfin elle était belle et elle je suis à peu près certaine qu’elle était sicilienne. Sauf qu’elle est née en France, pas en Sicile évidemment, aujourd’hui on peut dire comme ça. On peut dire je suis Sicilienne et naitre à Argenteuil, vous voyez. La nationalité n’est pas qu’une affaire de lieu de naissance, je ne me souviens pas si c’était vraiment Argenteuil d’ailleurs, je dis Argenteuil au hasard. Peut-être était-ce plutôt Pontoise. Je ne sais plus. Mais là n’est pas le propos. Argenteuil, Pontoise, et pourquoi pas Beaumont-sur-Oise, dans le fond ça ne change rien. Je vous l’ai dit qu’elle se prenait pour une sicilienne. Parce que ses parents l’étaient. Mais en fait non pas tant que ça car ses parents étaient nés à Tunis dans le petite Sicile. Ce devait être sans doute les parents des parents qui eux étaient de véritables siciliens de pure souche. Comment voulez-vous qu’on y comprenne quelque chose, et à 20 ans. Non en fait lui, il aurait bien voulu être sicilien c’est ça, ça me revient. C’était un buvard. Tout ce qui passait à sa périphérie il l’absorbait comme un buvard. Je vous ai dit qu’il était complètement cinglé. Et elle avec ses anglaises qui lui arrivaient jusqu’aux fesses ne l’était-elle pas aussi. bien sur qu’elle l’était. Tout le monde était cinglé à cette époque là comme je vous l’ai dit. 1980, 81 mais après les élections je ne crois pas que ça ait continué bien longtemps après. Enfin tout ça pour dire qu’ils s’étaient mis à la colle et qu’on sentait bien que ça n’allait pas durer, tout le monde le sentait, vous voyez ce que je veux dire. Tout le monde le disait et le pensait, comment aurait-il pu en être autrement. On se le disait tous naturellement. Il n’y a que vous qui semblez ne pas le savoir, qui feignez de jouer les étonnés. Mais j’exagère comme je vous l’ai dit. Bien sûr vous êtes si jeune vous aussi, vous ne pouvez pas le savoir.
Elle avait quelque chose de terriblement hautain, mais en fait il est fort possible que ce n’était rien d’autre que de la timidité. Alors que lui on voyait bien qu’il n’était pas timide, il était complètement timoré. Je ne sais pas si je vous ai dit qu’elle avait un frère. Comment se prénommait-il déjà … A. B. C. je ne sais plus. Tout ça remonte à tellement loin je vous l’ai dit. Il jouait de la musique, enfin si on peut appeler ça de la musique. Du tamtam, des congas, enfin je ne sais plus trop, ça remonte maintenant à bien 40 ans vous vous rendez compte. C’est déjà extraordinaire de se souvenir de ça.
Donc elle qui se disait Sicilienne alors qu’elle ne l’était pas comme je vous l’ai dit et lui qui aurait bien voulu l’être mais qui en fait était Russe ou quelque chose de ce genre, et le frère qui n’était pas timide, ils se sont mis à vivre ensemble, dans ce petit appartement que son oncle à lui, un homme très bien lui par contre leur avait prêté.
Il est mort si jeune le pauvre je vous ne l’ai pas dit, un cancer foudroyant qui l’a emporté en quoi… à peine deux mois. Il a laissé deux enfants en bas âge, ça n’a pas dû être facile pour sa femme comment s’appelait-elle déjà M. il me semble enfin peu importe comme elle s’appelait parfois on s’attarde sur des détails on en oublierait ce que l’on voulait dire. Qu’est ce que je voulais vous dire déjà, je ne me souviens plus. Mais vous savez ça m’arrive de plus en plus souvent, je perds la tête je ne sais plus si je vous l’ai dit.
Et comme je vous le disais aussi à moins que je n’y ai plus pensé car beaucoup de choses se pressent pour sortir dans le désordre mais il ne faut pas m’en vouloir, vous verrez quand ça vous arrivera, ils étaient si jeunes, si inexpérimentés, et puis tant de désir tellement d’espoir tellement de naïveté, forcément que ça ne pouvait pas aller en s’améliorant. Il me semble que P. a trouvé un autre type ce qui fait que P. est devenu fou, pour le coup comme un sicilien qu’il pensait être mais qu’il n’était pas comme je vous l’ai dit. Comment s’appelait-il déjà ce type qu’elle avait trouvé, je crois qu’il était d’Equateur, à moins qu’il fut péruvien. Enfin je me souviens qu’il était du sud des Amériques un de ses grands bruns ténébreux vous savez, et qu’elle l’a suivi. Et que c’est à ce moment que P. est devenu cinglé comme je vous l’ai dit, enfin à l’époque tout le monde l’était, et sans doute que je l’étais aussi moi- même. Enfin tout ça remonte à si loin maintenant comme je l’ai dit je ne sais même plus pourquoi ça me revient comme ça en vrac et que je vous en parle.
Excellent ! Par une chaude après-midi cette lecture est une bouffée de joie, la gouaille du personnage et ce que que tu fais de ce qui a été été ou pas dit, on se régale ! Et on finit en restant sur sa faim !
Merci Catherine !
Très drôle on finit par ne plus rien savoir et cela n’a aucune importance, merci
Merci !