Y.ck fait partie de ceux qu’on pouvait côtoyer pendant les vacances. Seuls certains d’entre nous habitaient le village. Nous étions tous issus d’horizons lointains, bien tranchés, irréconciliables. Parfois déjà ancrés au travail. Comme Jean-Mich qui s’occupait d’une ferme alors qu’il avait à peine vingt ans. Il devait tout le temps faire les comptes. Il avait des animaux, des poules, des vaches, les meilleurs ami du monde. Je ne parviens pas à me souvenir de nos discussions. Ma sœur était déjà très malade et je ne songeais qu’à elle tout la journée. La nuit, je sortais. Je voyais le groupe. Nous étions sept ou huit. Deux voitures. Nous sortions tous les soirs, jusque vers quatre heures. C’étaient les vacances. Mes parents ne faisaient jamais attention à ce que je pouvais faire la nuit. Tant que j’aidais aux champs dans la journée, c’était égal.
Y.ck, je le rejoignais parfois en fin d’après-midi. Après deux bonnes heures de marche sur les routes goudronnées. Nous n’avions pas de vélo, personne ne faisait de vélo. Je n’ai aucun souvenir de vélo en Bretagne à cet âge-là. Les dénivellations sont trop abruptes, la pente de Loqueffret suffit à décourager n’importe quel sportif. Je marchais des heures, walk-man sur les oreilles, Dee Dee Bridgewater, Marla Glen, Carla Bley, Meredith Monk, Nina Hagen. Nous nous retrouvions avec Y.ck – l’avais-je prévenu par téléphone ? je n’ai aucun souvenir d’appel téléphonique. On devait se débrouiller au hasard, en prévenant les amis. On marchait depuis le centre d’un village, aux abords du cloître, nous étions l’un près de l’autre, Nous ne pouvions rester tranquilles, assis sur la pierre. Nous disions « viens on va marcher ». Un seul baiser échangé, les mains dans les mains, les yeux dans les myosotis.
Avec V., c’était la nuit, l’avant-jour vers trois heures, nous quittions le groupe, nous allions sur les routes en voiture toute la nuit. Nous faisions énormément de kilomètres, presque jusqu’à Brest. Il fallait rouler le plus longtemps possible, nous échangions peu de mots, nous finissions la course vers la colline qui surplombe une vallée forestière, près de la Maison des artisans.
L. passait son temps à danser, toute la nuit il lui fallait sa dose de danse. Elle dansait seule. Des musiques anglaises, inconnues de nous. Elle avait cette coupe à la garçonne de l’époque, des cheveux en fines lames, geai bleu-noir, une crête, des anneaux. Les bas résilles. Parfois, un grand l’accompagnait. Il riait, causait sans arrêt, il employait des termes que nous ne tentions jamais d’imaginer : les matchs, les rencontres entre communes, les défaites, les mauvais joueurs qui faisaient des crises sur la pelouse, il riait, il faisait grand bruit avec son rire. Il avait une crête géante, il était punk. Il était féru des Béru. Il ne ratait jamais un fest-noz avec nous.
Une nuit par an, le village organisait un fest-noz. Y.ck jouait du bignou dans les couloirs du métro parisien. Quand il venait en vacances au mois de juillet, il jouait avec les cornemuses. On dansait en cercle toute la nuit, on buvait du cidre que mon grand-père confectionnait en cachette. Il était très acide, il sentait les pommes pourries, avec quelques bulles. Il attaquait l’estomac. Ma soeur était heureuse les nuits de la fest-noz.
Rythmé, prenant, un style épuré et une atmosphère bien campée. Des personnages qui s’impriment en quelques traits seulement. Bravo.
atmosphère étrange, le personnage de la soeur en arrière-plan semble essentiel dans cette une belle brassée de personnages