L’abeille est rentrée dans la manche, comment a-t-elle fait son compte. Tournant de travers, sa petite promenade pique le dos de la chemise, on entend ses pattes duveteuses et souples, rayées de soleil. C’est notre peur, notre peur à nous, peuple de la pluie, gadoue fichée dans les bottes. On ne peut les admettre, ces volantes et promenardes. Leur bourdon braisé se tord entre les tissus pliés, on ne le reconnaît pas. Il pourrait s’agir d’un moteur au loin, un grésil qui tondure, rien de brave. Et pourtant, elle trottine et menace la peau, piégée dans la manche… Le corps se redresse brutalement du socle de la terre, alors le torse à découvert prend froid, loin de la chaleur de terre. Placé contre le vent, il frémit de sa sueur de travail penché, de sang contraint. On se relève et le dos tremble, de fatigue, de brise fraîche sous un ciel pâle et délavé, toujours frais quelle que soit la saison officielle. Le long du talus, des noisetiers sauvages forment une haie ombragée, comme sous le porche d’une maison, les hommes sont assis sur des cagettes et avalent des choses, d’une lenteur molle et heureuse, le canif entre le pouce et l’index, les doigts repliés sur des souvenirs de ce qui se mange avec bonheur. Avant, on avait des groseilles jaunes délicieuses, remplies de jus. Le mildiou a tout décimé, et presque les plants de tomates. Il faut tout surveiller. Des mouchoirs à carreaux sont noués sur la tête. Quelques linges à sécher frôlent les feuillages. Et des doigts jusqu’aux bouches qui s’entrouvrent, de fins filets de rouge tombent sur les lèvres, des tranches de pâté, des croutes de gros pain écrasées sous la lame d’argent. Longtemps sous la haie, des regards toisent les sillons de la terre, les dégustant de ces yeux perçants de gypaète, où biquent parfois des cils touffus, tout à fait présents, dedans les choses, gris, intimidants. Sans jamais sourire, ni prononcer un seul mot.
Très beau texte et tant de belles images qui réveillent ma mémoire d’images similaires.
Merci Françoise pour ce bon moment de lecture.