On pénètre dans la maison par trois petites marches de pierre blanche, usées, polies comme un vieux savon sec. Le soleil qui écrase la cour et la façade s’arrête à la dernière de ces marches qu’une minuscule marquise, au dessus de la porte, couvre d’ombre. La porte, en été, reste ouverte du matin au soir, créant un très léger appel d’air, un sac et ressac ténu entre la fraîcheur de l’intérieur et la fournaise extérieure. De fines bandes de plastique multicolores s’agitent doucement dans l’encadrure de l’entrée, au gré de ces mouvement de l’air. La porte, percée de petits carreaux de verre en rangées de quatre sur deux niveaux, à hauteur de visage, est si ancienne qu’on la dirait en bois flotté. Calée contre un buffet à vaisselle immédiatement à droite de l’entrée, elle grince sur ses gonds régulièrement, comme un animal assoupi qui grogne dans son sommeil. Passé le seuil, on entre dans la cuisine. Elle baigne dans une fraîcheur mouillée qui semble monter des larges plaques de tommettes ocre couvrant le sol. Combien de sabots, de chausses, de souliers, de bottes, de chaussures, de baskets, de pieds nus, de pattes de chats, de chiens, de poules, de souris ont foulée, bosselé et patiné ce sol pour qu’il ressemble à ce point à la carapace d’une antique tortue de mer ? Tout est enveloppé de pénombre, les tables, les chaises paillées, les meubles et l’évier apparaissent au regard comme des ombres chinoises. Il faut un petit temps pour que l’œil fasse la mise au point entre le dehors et le dedans. Des parfums de basilic et de menthe flottent dans l’air, mêlés à l’odeur du sang, celui des lapins gisant sur la grande table de travail couverte d’une feuille de zinc sur toute sa longueur. Une fois pelés, ils iront au congélateur, dans l’arrière cuisine. Au dessus de l’évier, une grande fenêtre dessine un carré de lumière blanche comme peinte sur la vitre et ne perçant que par un très léger adoucissement de l’ombre l’opacité de la pièce. C’est suffisant pour y voir sans perdre la fraîcheur. A cette pièce, très minérale, comme creusée dans la paroi d’une montagne, succède une rotonde toute végétale. Les murs tapissés de motifs floraux jaunes et verts entrelacés s’harmonisent avec les reflets bruns d’un parquet de chêne ciré. Au centre, s’élève un escalier d’acajou aux courbes ouvragés. Au sommet de cet escalier, un palier du même chêne que celui de la rotonde, distribue une série de couloirs percés de portes closes. Une seule n’est pas fermée, d’où filtre la lumière du jour. Elle donne sur une vaste pièce inondée de soleil par une grande porte fenêtre ouvrant sur une terrasse d’où la vue se perd sur les montagnes de l’arrière pays jusqu’à la mer qu’on aperçoit, tout au fond, à l’horizon. Des volets de bois ajourés permettent de conserver un peu de fraicheur aux heures les plus chaudes. Une bibliothèque antique couvrant la moitié des murs et montant jusqu’au plafond, un bureau usé, une chaise, un large fauteuil et un lit forment le mobilier de cette pièce. Sur la dalle de grès blanc, quelques nattes de jonc tressé ont été disposés. On entend les mouettes, au loin, dans le ciel d’été. Une odeur de livre emplit l’espace, semblable à un très léger résidu de bois brûlé, quelque chose de ténu, poussiéreux sans être suffocant. Sur le lit, recouvert d’un tissu de coton ocre, dort un chat roux. Il ronronne très légèrement dans son sommeil, ses oreilles frémissants aux petits bruits de la maisonnée : une latte de parquet qui grince, un coup de vent qui fait tinter les perles d’un abat jour, le pépiement d’un moineaux en transit sur la balustrade de la terrasse, des pas dans l’escalier, une porte qui claque dans le couloir ou au rez de chaussée, une voiture qui passe sur la route, en contrebas du jardin et dont le vrombissement s’atténue peu à peu, se perdant dans les méandres qui serpentent des collines vers la mer. Depuis la terrasse, le regard plonge, en contrebas sur le jardin et le chemin de gravier qui louvoie jusqu’à la porte de la cuisine. Quelques palmiers et de hauts cyprès ponctuent d’un peu d’ombre cet espace saturé de soleil.
l’air qui entre et sort entre le frais et la fournaise, les lanières, on entre par la cuisine, l’évier sous la fenêtre, la bibliothèque, les meubles qui ont de l’âge etc… l’impression que j’ai dû connaître cette maison et que je la visite embellie, si cela se peut encore, par l’écriture.
je ne savais pas quel lieu décrire. De dimanche à ce matin j’ai cherché et puis j’ai décider de tenter autrement : Commencer par évoquer un tout petit bout de maison, trois marche et suivre, à l’inconnu, ce que me proposerait l’écriture à mesure que j’avançais à l’intérieur, sans références préalable précises. Cela donne un mélange de lieux vécus et d’autres purement imaginaires. Une maison ni tout à fait réelle ni tout à fait rêvée. 🙂
Votre imagination — et votre sens maîtrisé de la description — font de ce passage à travers la maison est moment très agréable.
Merci beaucoup Nicolas.