Il avait tout construit de ses mains. Il avait cette patience, presque une obsession. Scier, poncer, raboter, assembler et faire naitre une cabane ou un abri pour le bois. De bric et de broc. Presque rien. Quand je pense à lui, je vois ses mains burinées aux ongles noirs retournant la terre du potager. Raclant, binant, bouturant, taillant. Je les ai toujours connues tremblantes. Son visage est moins clair. Une mâchoire anguleuse et puissante. Et puis la constellation de lumières que lui faisait le canevas de son inséparable chapeau de paille. Ses mains soulevaient la nappe à l’heure des repas, ouvraient le tiroir devant lui et distribuaient les serviettes de table, épaisses et trop rêches que l’on faisait tourner de main en main. La table rectangulaire de la cuisine. C’était à lui de trancher le pain. Il essuyait les deux faces de son couteau sur la première tranche qu’il se réservait. La croute brune toujours trop sèche.
Le boulanger était encore itinérant. Le mardi matin je restais toujours dans la cuisine. Silencieuse et le regard vissé sur le va-et-vient des automobiles sur la départementale. Prête à bondir à la sonnette de la camionnette blanche qui stoppait devant la maison. Les pièces de monnaie argentées que j’échangeais contre quatre gros pains de campagne étaient chaudes et moites dans ma paume.
Sa fierté était d’avoir domestiqué le torrent sauvage prenant source au village et se débattant sous le pont de pierre juste en haut de la côte qui bordait la maison. Captée, puis enfermée dans un tuyau de cuivre, l’eau ressortait calme et docile le long des rangées de haricots ou des rattes nouvelles aux feuilles trop souvent couvertes de doryphores. L’ancien lavoir près de la serre où poussait la vigne aux raisins blancs. J’aimais par-dessus tout, m’assoir sur le rebord et tremper mes pieds dans l’eau limpide à la fraicheur saisissante.
Surgit alors la frêle silhouette découpée dans l’ombre fraîche des Lilas. Ses yeux clairs (étaient-ils bleus ou verts ?) un peu perdus, au loin. Sa silhouette à elle, toujours en mouvement absorbé dans quelques tâches d’intérieur. La table rectangulaire de la cuisine. S’y assoir était pour elle synonyme de silence. Dans le ventre du buffet, les mouchoirs brodés tous repassés et pliés en piles de proportions égales. Le fer chauffé au coin du poêle. Il fallait légèrement humidifier le tissu pour que le fer n’accroche pas. Après le repas, elle feuilletait le journal local puis s’adonnait parfois à sa correspondance. Son écriture si fine et régulière. Rien ne lui aurait fait plus honte qu’une maison sale, des estomacs non rassasiés et les fautes d’orthographe.
L’automne. Dans le sous-bois couvert d’aiguilles de conifère, les champignons, les grands sacs poussiéreux dans la remise que l’on remplissait de pommes de pin pour allumer le poêle. Les haricots verts ont été équeutés, les petits pois, écossés. Les bocaux stérilisés. Les coulis, les confitures, les conserves. Alignés et soigneusement étiquetés dans la cave. L’odeur un peu rance de la terre battue et les marches grinçantes. Puis le froid et la neige. L’hiver. Et le sentiment de ne jamais pouvoir manquer. Un jour.
Ils parlaient avec économie. Je ne me rappelle pas l’avoir vu écrire. Ses mains tremblantes peut-être ? Elle le disait têtu comme une mule. Il la saisissait par la taille.
Je ne sais plus quand ils ont disparu.
Ma seule certitude c’est que la maison fut un temps un ancien bistrot. Et que l’on se reposait toujours, après le déjeuner à l’ombre du grand sapin.
D’autres ont pris possession des lieux.
C’est splendide et vraiment on voit tout, on a vécu cela, dedans, du ventre et des pains, la boulangerie ambulante, les observations par la fenêtre, comme si on avait appartenu au même village…
Merci Françoise! Je suis très touchée d’autant plus que je me sens débordée par le temps pour aller fouiner dans les diverses propositions de l’atelier… et vous lire….alors que je n’ai jamais eu autant de temps…. Ça viendra. Toute chose en son temps.
On est avec toi, avec eux, à chaque instant et chaque endroit de cette vie simple – la même chez les miens, plutôt en campagne bretonne, mais pareil.
Merci.
Merci Gwenn