Il est impossible de rejoindre l’intérieur. La petite maison — qui bien avant mes souvenirs fut un bistrot — se love au bord de la départementale dans le creux d’un virage. D’autres y ont investi les lieux. Le grand sapin qui donnait un peu d’ombre au jardin a été coupé. Ses cendres reposent au fond de l’ancien potager recouvert d’herbe jaune. Et la serre de bric et de broc qui protégeait l’immense vigne aux raisins maigrelets, mais sucrés n’a pas échappé à la transformation. Seul un gros 4X4 noir garé dans la cour indique la présence des autres. L’intérieur reste hermétiquement clos. C’est mieux ainsi.
Il faut s’échapper juste avant la maison, au croisement à droite. Là où est le panneau indiquant le nom du village. La gomme tendre des pneus échauffée par les kilomètres crisse dans le tournant sur les gravillons. Leur présence s’explique par la carrière de pierre qui grignote lentement la montagne un peu plus tôt. Ici, le bitume casse sa longue ligne droite ennuyeuse et bruyante, comme si l’interminable départementale, épuisée de sa succession de pointillées blanc sur gris s’accordait un instant de répit. Il faut être attentif à l’intersection dans le mou du virage. Prendre la tangente à droite est un choix fragile et fugace.
Le moteur qui jusqu’à présent ronronnait, résigné et docile, se met à toussoter à protester de la pente raide. À droite, les petites maisons de vacances. J’en connais certaines. Cachées dans une forêt basse de résineux, leurs jardinets brunis d’un éternel tapis d’aiguilles de pin sèches. À gauche, la forêt a été rasée — à visée écologique — et remplacée par l’éclat métallique d’un champ de panneaux solaires. L’effort de la montée est bref quoiqu’intense. Une fois franchi le vieux pont de pierre qui enjambe le torrent se débattant en vain pour ne pas gagner la morne lenteur des eaux en contrebas dans la plaine, la route s’aplatit. L’odeur des champs de luzerne verte et des blés qui murissent toujours plus tardivement appelle au retour au calme. La vitre grande ouverte avale en bouffées avides l’air frais. L’attention s’infléchit et la vitesse diminue dans l’espoir d’apercevoir çà et là les chemins de terre poussiéreux que je connais tous. Apparition fugace, fantomatique. Presque subliminale. Ceux que je préfère se trouvent à droite. À gauche débutent plutôt ceux de mon enfance. Plus larges et faciles d’accès, mais la pluie en a fait raviner les pierres vers le gris des panneaux solaires, le beige de la carrière et le jaune fade du pré tout en bas au creux du virage. Les chemins de droite ne sont pas vraiment différents. Même sol de terre brune. Même arche à la fraicheur ressourçante de l’ombre verte de quelques chêne ou arbustes sauvages. Sous la lumière découpée, ils partent tels des serpentins fous, à l’ascension de la pente. Est-ce leur aspect plus minéral, un peu rude des efforts qu’ils promettent qui m’attire tant ? Ils ne sont déjà plus des routes, pas encore des sentiers, mais renvoient en écho sous l’ombre du feuillage l’ivresse des sommets et la beauté sauvages des fleurs des cimes.
Les murs de parpaings crépis de rose du nouveau cimetière annoncent presque impoliment l’entrée du village. Après un nouveau pont au garde-fou de métal rouillé, il faut dépasser la scierie et se garer sur la petite place derrière les terrains de tennis tout groupés autour de la mairie et de l’ancienne cour d’école.
Le moteur coupé, l’air retombe, le soleil étouffe, et le bleu laqué du ciel, trop uniforme n’inspire pas confiance. Deux jonquilles sur le bas-côté semblent fixer une présence invisible de leurs yeux jaunes.
La vue est saisissante. Dominant la plaine, le château solide de pierres blanches et d’ardoise noire protège dans son dos toute une grappe de maisons s’agrippant à la pente agglutinées autour d’une poignée de rues tortueuses. De hautes grilles en volutes ferrées en ferment l’accès. Un panneau d’information a été fixé sur l’une des colonnes. Les mots glissent, se mélangent, embrouillent. Il est question de maures et de guerre, de résistance et de nazis. Derrière la grille, l’allée de pavés blancs ouvre la perspective sur la cour fleurie du château. Au centre, le grand châtaignier. Sa circonférence est spectaculaire. Le ciel sans nuages me fait mal aux yeux, j’abandonne à mes cornées trop sèches la faiblesse d’un peu d’ombre au pied de la carapace d’écaille noire de l’arbre. Les racines me rassurent. Elles éclatent en étoile depuis le tronc épais et rampent vulnérables, mais solidement arrimées dans la mince couche de terre qui les nourrit au-dessus de la roche calcaire, jusqu’à la périphérie de la cour. Là où les rosiers sont déjà fanés.
M’ont attirées notammaent ces routes, chemins et sentiers développées avec précision et justesse dans un mouvement calme. Merci Géralddine.
Pardonne moi la flottaison orthographique trop d’écrans écriture et lectures derrière moi !
Merci Nolwenn de ton passage ! Moi même un peu noyé dans la masse! Au plaisir de te lire