Je sais très bien comment je suis arrivé là ; c’est le juge qui l’a décrété. Il a frappé très fort avec un marteau sur un morceau de bois ; j’ai cru qu’il allait percer la grande table et que le marteau allait tout droit lui tomber sur le pied, mais l’échafaudage a tenu bon et c’est mon cœur qui en a pris un coup. Il a aussi parlé d’irresponsabilité pénale, ce qui m’a énormément surpris car je sais, de source sûre, que je suis quelqu’un de responsable. Tout le monde s’est levé, on est venu me chercher sur mon banc et on m’a trainé vers un fourgon gris aux fenêtres très hautes et petites avec des barreaux. Mes parents sont montés en dernier et j’ai tout de suite posé ma tête sur les genoux de ma mère qui a commencé à me caresser les cheveux ; j’ai presque eu envie de fermer les yeux et de me laisser glisser doucement dans le sommeil, mais mon père a commencé à parler de la nouvelle vie qui m’attendait là-bas et je me suis mis à l’écouter tout en essayant d’imaginer l’endroit qu’il me décrivait à voix basse. Cela ne m’a pas rassuré et j’ai vite repris mes esprits. J’ai entendu pendant longtemps le bruit d’autres voitures frôlant la nôtre, des voix aussi, des klaxons ; le ciel parsemé de petits nuages défilait à travers les barreaux ; tout cela semblait arriver d’une planète faite uniquement de sons et de bleu. A un certain moment, tous les bruits ont cessé, on a commencé à être ballotés de droite à gauche sur nos banquettes, le fourgon se dandinait comme un canard, ce qui m’a fait rire et a attiré le regard des deux gardes assis en face de nous. Jusque-là, ils n’avaient pas bougé leur regard d’un millimètre, vêtus comme des soldats de plomb, les mains sagement posées sur les genoux. Ils avaient chacun plein de choses accrochées à leur ceinturon et que j’essayais d’identifier. Des menottes, je savais ce que c’était, le manche du révolver qui sortait d’un étui, aussi, mais les autres objets m’étaient complètement inconnus, surtout qu’il se cachaient dans de petites pochettes noires fermées ; certaines étaient longues, d’autres minuscules. Cela devait être très difficile à porter. Comment savaient-ils qu’elle pochette ouvrir pour prendre quelque chose dedans ? J’en ai déduit qu’ils devaient beaucoup s’entrainer pour arriver à se repérer dans ce fouillis. Pas pratique aussi pour s’asseoir, je le voyais bien. Tout à coup, j’eus une faim de loup et je me suis redressé d’un coup sur ma banquette ; aussitôt les deux soldats de plomb se sont mis sur le qui-vive, ont rejoint leurs pieds, prêts pour l’impulsion de la position verticale, leurs dos se sont rectifiés. J’ai dit à mes parents que je voulais manger, ma mère a regardé les deux gardes qui n’ont pas dit un mot, ont juste fait un petit mouvement de tête et ma mère a sorti de son sac un sandwich enveloppé dans du papier cellophane et me l’a donné. Je l’ai dévoré en trois bouchées, à mon habitude ; j’avais soif, mais je n’ai pas osé demander de l’eau, de peur de la réaction des gardes. Ma mère a deviné mon désir et m’a tendu une bouteille que j’ai ouverte en tournant le bouchon tout en écoutant le léger cliquetis du plastique qui se séparait pour toujours du petit couvercle bleu. J’ai bu tout le contenu, en imaginant que, si j’étais en plein désert, il ne m’en resterait plus une goutte au cas où je n’arriverais pas à retrouver mon chemin. Nous roulions maintenant tout droit sur quelque chose qui ressemblait à du gravier qui faisait déraper les pneus du fourgon qui a commencé à ralentir avant de s’arrêter net. Les deux gardes se sont tout de suite levés pour ouvrir la portière et se sont postés à l’extérieur en attentant que nous sortions à notre tour. Nous nous trouvions dans une grande cour rectangulaire aux murs hauts. La seule ouverture était le portail en fer jaune par lequel le fourgon était passé. En face de nous, il y avait une maison à plusieurs étages et un perron aux marches de pierre. Une femme est apparue sur la porte d’entrée et a descendu les marches pour venir nous rejoindre. Elle s’est d’abord adressée aux gardes et à mes parents sans me regarder. Ils ont parlé un bon moment, pendant que j’examinais la cour et la maison, surtout les petites fenêtres à barreaux qui étaient si basses qu’elles semblaient être sorties de terre pour s’accrocher aux murs de la façade. J’eus une envie folle d’aller regarder ce qu’il y avait à l’intérieur, mais je m’en suis bien gardé, surtout parce que la femme maintenant s’adressait à moi, en m’appelant par mon nom pour me dire quelque chose que je n’ai pas bien compris car je regardais ses yeux bleus derrière ses lunettes dorées qui renvoyaient de minuscules rayons de lumière dans ses prunelles. J’en ai tout de suite déduit qu’elle se trouvait au bon endroit à l’heure idéale pour que le soleil produise en elle un tel phénomène. Ensuite, elle nous a demandé de la suivre chez le directeur, pendant que le fourgon faisait demi-tour avec les gardes dedans. Voilà comment je suis arrivé dans ce lieu pour la première fois. Quelque mois plus tard, je savais y arriver de trois façons différentes.
j’adore (mais j’avais au 2, je crois, ressenti une présence plutôt féminine) (je vais le relire et jte dis) j’adore
(il manque un « fois » ici (vers la fin) : « Julie, qui vient trois par semaine pour ne s’occuper ») pour le féminin, non j’ai cru – mais non (en tout cas on s’attache au personnage) (extra) merci
Merci, d’abord, pour la correction. Je vais ajouter. Très contente que tu trouves le personnage attachant, je n’avais pas grande foi en lui au début, mais je commence à « l’écouter » plus attentivement pour savoir ce qu’il a à me dire. Merci, Piero !
Après avoir lu ce texte, j’ai été lire le précédent qui m’avait échappé, c’est super, prenant, à la fois drôle et émouvant. Le personnage est vraiment là, on a envie de continuer à voir à travers son regard.
Merci infiniment, Muriel ! Je suis vraiment touchée de ton compliment ! Il me donne du courage pour continuer.
ça démarre sur des chapeaux de roue et tout en charme
Oh, merci, Catherine ! Continuer… là est le problème !
02 02 BIS … lui un et multiple : ce personnage qui nait devant nous et court contre la montre , sa candeur et sa résistance . Il creuse s’échappe dans les détails avec la candeur et la poésie de son regard
Merci, Nahalie !
Quel souffle dans la narration ! Moi aussi, après avoir lu celui-ci, j’ai été relire le texte du #02 qui s’éclaire d’autant. Bravo !