Elle a seize ans. Et vient de rencontrer une maman d’un enfant absent ce jeudi. Très bon échange, elle est heureuse. Tous les jeudis, elle va dans la salle paroissiale rassembler les p’tits gars de dix ans pour l’après-midi. Elle a des ailes. La longue rue Emile Littré elle la connait par cœur, ses grands-parents habitent deux cent mètres plus haut. La petite chapelle sur la gauche, la clinique sur la droite, et l’épicier, seul commerçant du quartier. À l’embranchement de la rue Claude Delaroa toujours elle est intriguée par le monument du sphinx noir, au-dessus de lui cette longue égyptienne au flambeau, mystère. Elle tourne à droite vers la boulangerie et encore à droite dans sa rue. Il est plus tard que d’habitude, elle fredonne, joyeuses de ces petits gars enthousiastes toujours, arrive vers l’immeuble gris clair aux volets gris foncés, pas de soleil, ni maintenant, ni ce matin. En face le sérieux monsieur en pardessus et chapeau, toujours, rentre chez lui, elle sait qu’il travaille à La Tribune, L’espoir ou La Dépêche, n’en sait rien, son métier l’intéresse, elle l’imagine, la petite lampe du premier va s’allumer, il dit bonsoir à sa femme malade ? et se met à écrire une partie de la nuit. Elle sonne à la maison et attend…ce sera le déluge de reproches incompréhensibles.
Longtemps plus tard, elle fixe le mur plein de photos : un arbre généalogique, les grands-parents en haut, et tout en bas, elle et son mari, et remontant dans les frondaisons, leurs propres enfants et plus haut les petits- enfants, c’est un peu n’importe-quoi quand même, elle sent tout le poids des erreurs des blessures anciennes, très anciennes et de ce qu’elle a manqué avec ses propres enfants et mentalement, elle l’inverse, les plus vieux en bas, le tronc, et eux deux en haut à la cime, les enfants entre. « Elle ne porte plus le poids de la lignée et des traumas.» Ce serait ça la légèreté de vivre ? ( idée beaucoup empruntée à Jennifer Yezid dans son blog pour un fait bien plus grave. )