Bien soulagé de quitter l’odeur de fiente qui envahit la cour, il grimpe un petit perron pour entrer dans la cuisine, centre névralgique de la maison, y flotte une odeur de couches sales et de lait aigre, en avançant sur les tommettes sang de bœuf il fait face à une table couverte de toile cirée au décor blanchi par l’usure sous le faisceau des grands pains pâles et mous bien loin de ce que les citadins nomment pain de campagne, sur le mur du fond s’étire un bahut ventru dont les portes baillent sur des piles d’assiettes, puis la porte du vieux ouverte sur la clarté mitigée d’une fenêtre à barreaux où s’agrippent six cages de tailles diverses habitées par quelques moineaux, un pigeon, une pie, un martinet pitoyables et silencieux. Il sait qu’ici, on n’entre pas, jamais, personne, alors il se tourne vers la droite face à l’évier en céramique jaunie et à la gazinière où toujours quelque chose cuit ne serait-ce que la lessiveuse, et juste devant lui, voici la porte marron de la grange dont il déclenche le bruyant verrou à loqueteau pour pénétrer une espèce de nuit poisseuse, viciée, composée de moisissures, de terre battue et de déjections animales. Cette grange profonde d’une dizaine de mètres est faiblement éclairée par la lumière diffusée entre les marches de l’escalier de meunier, il finit par y distinguer en passant une brouette en bois, des seaux et des cuvettes en zinc, des piles vertigineuses de romans-photos, du bois de cheminée, des sacs de jutes remplis d’il ne sait quoi qui doit avoir sa part dans le remugle qui lui pique le nez, il sursaute au raclement soudain d’une chaîne, le bruit provient d’une profonde obscurité, puis la porte sur la cour s’ouvre brusquement, rabat là un peu de lumière où se dresse aussitôt une bête rousse que la porte immédiatement refermée renvoie dans l’ombre. Deux pièces d’or étincellent à sa place. A t-il bien vu ?Vous avez un chien ? Non, c’est le renard… n’aie pas peur, il est attaché bien court.
D’abord la cour, coupée en deux par la grille défoncée, d’un côté le chien hurleur, de l’autre, poules et canards dans leur fiente, sont tombés et laissés là dans la boue grise vieux jouets cassés, cuvettes percées, linge, un bas suspendu au fil trois culottes, un long drap, brassières et couches. Trois marches du perron, et la cuisine, odeur de lait aigre et couche souillée. La table au milieu, les chaises autour, la toile cirée dessus, fleurs du motif mangées d’usure, au centre trois longs pains pâles et mous, les pains d’ici, spongieux, pas campagne comme ceux de la ville, au fond le grand bahut jamais fermé, deux tiroirs deux portes, toute la vaisselle qui en déborde puis la porte du vieux, toujours ouverte face fenêtre grillagée, six cages en suspension, des moineaux une pie un pigeon y vivotent, y tremblotent, on n’entre pas, jamais, personne, on passe, évier jauni, gazinière où chauffe la lessiveuse, et la porte marron, loqueteau sonore. Au-delà, le grand noir et remugle piquant : moisi, déjections, soupe, cendres, terre humide, on frôle une brouette, des cuvettes, haute pile de romans-photos « Intimité » « Nous deux… » l’amour en noir et blanc, s’avancer dans le noir encore plus noir. Soudain, raclement de chaîne, la porte de la cour brusquement ouverte rameute la lumière, un renard roux se dresse, aussitôt renvoyé dans l’ombre par la porte qui claque, reste deux pièces d’or dans la nuit.
Tentative d’épuiser l’image et la sensualité écoeurée d’une vie campagnarde ? Aucune complaisance dans ce double paragraphe qui dépeint quelque chose de très familier . L’entremêlement du visiteur avec la présence animale de l’enfance et de la ferme. Rien n’est épargné du prosaïque dans ce lieu de vie où un renard inquisiteur furète. Qu’il soit attaché court relève bien sûr de la fiction…
Merci Marie-Therèse de cette lecture. Tout est fiction, même la vie! et tout est vrai, même le renard que j’ai beaucoup plaint de ne plus jamais voir le jour et ne plus jamais courir
Un renard qui aurait fini par enrager ?
Waouw, superbe texte !
Il a quelque chose de lourd et d’obscur dans lequel on se plaît à s’installer. Comme on se plaît à se perdre au milieu du désordre ambiant.
Merci de ton soutien Annick
quel univers fort avec ce bric-à-brac sombre
et surtout cette bête rousse qui me touche l’âme (tu sais combien je suis attachée aux renards… d’ailleurs il y a ma renarde rouge qui dort encore dans mes dossiers qu’il faudra que je réveille !!)
merci pour ce décor magnifique…
et maintenant que voilà la 3, je. suis bien emmerdée avec mon renard !
Et maintenant que voilà la 3, je suis bien emmerdée avec mon renard…
Totalement immergé dans ce texte, et avec une grande intensité. Merci Catherine Plée.
Trop gentil, merci Michael
quel univers fascinant, un autre monde s’ouvre, fait de souvenirs et d’imagination, on sent l’histoire qui se déploie en même temps que les lieux… hâte à la suite – et l’avant avec le « bis » qui nous en dit plus !
J’aimerai bien que ça se déploie, Gwen , merci