Sorte de néant. Il en était sorti. De ce début de rien. Ce commencement. Une tentative. Traçant des morceaux d’images. Mots qui hésitent. Noir d’encre. Mots à tâtons. Et le papier qui gratte. Horizon lacéré. Début de rien emmêlé. Et déjà, c’est quelque chose. Quelque chose qui s’élève. Quelque chose qui retombe. Amas de matière en ébullition. Sans direction. Avant la naissance du monde. Il écrit, et péniblement, il sent le poids des mots, ce brouhaha qui peine à sortir, qui souvent s’affaisse. Il a mal au dos. Sa tête est lourde. Ses cheveux prennent trop de place. Il va falloir aller chez le coiffeur. Ses yeux le piquent. Se débarrasser de tout ça. Cent fois, il repose le stylo, retourne à des occupations stériles, incapable d’aller au bout. Au bout de ce rien. Ce rien qui peine à sortir. Qui peine à devenir quelque chose. Quelque chose de convaincant. Qui peine à former quelque chose. Incapable de pousser très loin, il pose le stylo encore. Il revient encore. Ecrit un mot, deux mots, s’épuise. Repart. Revient. Repart encore. Et ses mots, sans qu’il s’en soit aperçu, sont devenus des vagues qui envahissent l’horizon, qui frappent, vrombissent, s’écrasent, se brisent et à nouveau s’élèvent.
Face à lui, la mer. Enfant de l’écume, c’est là qu’il est né, de cette mer rageuse et folle. Qui il était vraiment, nous l’ignorions. Il dansait avec les vagues, avec le vent, mais quelque chose clochait. Comme s’il jouait un rôle. Comme s’il ne montrait qu’une image plaisante et fausse. J’aimais sa compagnie, ses calembours stupides, les histoires qu’il racontait, les discours qu’il faisait, à dormir debout, ses coups de gueule. Quand il parlait, on riait, on vibrait. Pourtant, il lui arrivait, fatigué de tant d’exubérance, de laisser grandir en lui comme une ombre, qui finissait par tout emporter.
C’était un monstre insaisissable, un peu effrayant. Un ogre, fascinant de laideur, gonflé des fracas de la mer. Il se rêvait écrivain. Il avait beaucoup lu. Sans toujours tout comprendre. Il fallait arriver au bout du livre. L’ajouter à la liste de ses lectures. Il se voyait dans le panthéon des grands auteurs, hantant les mortels, les tourmentant éternellement, célébré et étudié, emmerdant des classes entières de mômes sans motivation. Partout, il gesticulait, courait ici et là, écrivait ce qui lui passait par la tête, des observations — sur les goélands, le sable, le ciel, les phares, les surfeurs, les coquillages, les parasols, les requins… Un rien l’inspirait, et il courait, courait encore, pour alimenter ses livres. Il s’était essayé à tous les genres, à toutes les formes. Ses textes, il aurait pu en remplir des bibliothèques. Textes qu’il finissait, le temps passant, par regretter, par ne plus assumer, honteux de leur inconsistance, de leur gaucherie. Pourquoi écrire ? Par snobisme, peut-être. Pour plaire, être aimé. Enfin compter pour quelqu’un. Partout, il courait, se contorsionnait. Il écrivait, malade d’écrire, de noircir du papier, mots de plus en plus creux, et ça s’accumulait, ça débordait, inondait tout. Mots dont il ne savait plus quoi faire. Alors il foutait tout au feu. Avant de s’enfoncer dans le silence.
Il a du se rendre compte, à un moment, que ce rôle, ce n’était pas lui, que c’était trop gros pour lui. Progressivement, il perdit l’envie d’écrire. Il y eut des mots de trop. Un brouhaha indomptable. Lourd à porter. Nouveau chaos. A nouveau, il fit sombre. Aller au bout — quel effort ! Et ça se ratatinait. La phrase, inachevée, devenait incertaine, sans avenir. Tentatives. Ratures. Echecs. Puis un déluge noya tout. Se laissant flotter, il prit conscience que ses rêves l’avaient quitté. L’obscurité recouvrit ses textes, et privé d’amour, il s’endormit.
» Avant la naissance du monde. Il écrit, et péniblement, il sent le poids des mots, ce brouhaha qui peine à sortir, qui souvent s’affaisse. Il a mal au dos. Sa tête est lourde. Ses cheveux prennent trop de place. Il va falloir aller chez le coiffeur. » […] Enfant de l’écume, c’est là qu’il est né, de cette mer rageuse et folle. Qui il était vraiment, nous l’ignorions. Il dansait avec les vagues, avec le vent, mais … […]
Le pseudo-monstre au bois dormant attend le baiser de l’écriture. Il flotte un peu en attendant entre deux eaux aux couleurs contrastées.
Bois flotté, peut-être lassé du chaos, serti d’une intelligence qui cherche un rivage apaisant et berçant.
Il attend peut-être la confiance en sa flottaison fiable et salvatrice
Nous on le voit bien naviguer, de loin encore.
Merci pour le commentaire. C’est un peu tout ce qu’exprime ce texte. Mais je pense qu’ici, dans cet atelier, cette confiance, et ce rivage apaisant, on peut le trouver.
Revenir vers toi, vers ton texte, ce IL qui ne trompe pas… les cheveux qui prennent trop de place !
et il y a du chaos dans l’air…
merci Jad
Merci. Ce « il », je le traine derrière moi, j’espère n’avoir pas trop triché avec la consigne.
L’agitation de « Il » au gré de phrases courtes est efficace. Le texte en décrit bien les tenants et les aboutissants. Et dormir… pour mieux se réveiller, j’espère