« Nous ne pouvons choisir entre écrire et ne pas écrire. Il pèse sur nous une obligation qui ne nous le permet pas. Une obligation qui nous vient de tous les hommes, qui rend terrible notre vocation, et qui nous pousse, dans chacun de nos livres, à recommencer à dire la vérité justement avec chacun de nos livres, avec chacun de nos écrits, à la répéter chaque jour […]. Il ne s’agit pas seulement d’enrichir le monde. Il y a une question de vie et de mort dans l’exercice de notre métier » : ces quelques lignes de la postface d’Œillet rouge, écrite en 1947, pourrait servir de profession de foi à Elio Vittorini, l’auteur de la très fameuse Conversation en Sicile, qu’Italo Calvino, dans une de ses lectures critiques, qualifiait d’« œuvre-manifeste incomparable ».
Et bien voilà, la consigne et sa réponse comme elle vient. Cette interrogation à propos de l’auteur. Mais aussi une interrogation à propos du lecteur qui lit avec ses propres yeux ce texte écrit par l’autre dont il ne sait pas grand-chose.
Mais de quel auteur ou de quel lecteur s’agira t’il ? Ceux d’hier, ceux d’aujourd’hui quelques quarante ans plus tard ? Comment le filtre des années les déforme t’ils ? Et si on laissait tomber les questions, si on s’imaginait, par exemple la table sur laquelle s’empile les feuillets d’un manuscrit, dans une pièce sombre, à peine une ouverture sur le dehors, la mer bien sûr. La fenêtre sera t’elle ouverte ou fermée ? Entend-on le bruit du ressac, les cris des oiseaux marins, un volet quelque part qui claque, y a t’il toujours cette pression au dehors qui rend parfois si difficile de s’accrocher à la table, à la chaise, au stylo ? Une odeur de bougainvillier, de jasmin, le pas d’une femme dans la ruelle en contrebas ? Qu’est-ce qui pousse à rester assis là dans l’ombre à écrire Dieu sait quoi parfois. A sans cesse circonscrire l’échec à venir, on finit par l’aimer sans doute, à l’attendre, à s’y préparer comme on peut se préparer à la mort. Il faudrait un peu d’ordre, un peu de méthode, et surtout ne pas se laisser avoir par la distraction. Comme si la distraction on la connaissait bien, qu’on en savait l’incidence, la brulure, surtout le soir quand le soleil se couche, que l’on se retrouve assis à la même table devant une page blanche depuis l’aube. On peut se souvenir, bien sûr de toutes les choses que l’on s’enfonce dans le crâne. Ecrire comme une obligation qui nous vient de tous les hommes. On peut désormais y ajouter les femmes, les enfants, les arbres, les pierres, la bruyère, les serpents.
Ce qui rend un auteur vivant dans l’esprit du lecteur c’est tout ce qui s’écrit entre les lignes du livre qu’on tient dans les mains, que l’on croit deviner, qui nous aide à poursuivre, parfois à patienter, à tolérer. Ce ne sont pas les prodiges de la langue, les métaphores flamboyantes, les idées sidérantes, nous le savons désormais.
J’écris ces lignes dans le bureau à l’étage, fenêtre close, c’est dimanche nous sommes en fin d’après-midi. Une pièce dont les murs sont peints en vert parce que c’est sensé être reposant, et surtout en raison du prix avantageux, en promotion, le jour où nous avons acheté ce gros pot. Je me souviens encore de la difficulté à refaire les murs. Il ne s’agissait pas à l’époque de masquer les imperfections à la va-vite. Une volonté de travail bien fait me tenaillait. Il aura fallu plusieurs jours, une semaine je crois pour retirer la tapisserie, tout gratter, reboucher les trous, enduire, plâtrer, poncer. tout ce travail préparatoire en amont avant d’ouvrir enfin ce gros pot de vert anglais, puis être enfin chez soi autant qu’on puisse se dire je suis chez moi désormais. A la fin je suis moins appliqué qu’au début, je me souviens aussi très bien. Je suis pressé d’en finir. Il y a beaucoup d’autres choses encore à faire. Une maison entière. Je sais que je suis en train de perdre quelque chose, que je suis en train de bâcler le dernier mur, on y placera une bibliothèque, les livres boucherons les traces du forfait. C’est cette idée de perfection qui me tient encore aujourd’hui. Désirer que tout soit parfait et ne jamais y parvenir, s’en culpabiliser sans trop le montrer à quiconque, aller même jusqu’à l’oubli pour que cette culpabilité petite dose après petite dose crée de profondes déflagrations dans le corps. L’impossible perfection et tout ce que l’on mettra en place ensuite pour justifier le manque, la lâcheté, la distraction. On pourra même bâtir une philosophie contraire, celle du lâcher prise bannir de son vocabulaire la perfection, on peut se leurrer ainsi bien sûr et délicieusement. Mais quand vient la nuit, que l’on aperçoit dans le crépuscule les lumières colorées de sang des usines se détachant sur le bleu nuit, quelque chose revient, et ce n’est pas un parfum de jasmin mais un parfum de mort, de décomposition, le parfum d’une débâcle venue de sombres profondeurs en soi et qui nous attire. On pourrait ouvrir la fenêtre et se jeter au travers l’encadrement, ce qui serait ridicule sans doute car grande chance qu’on n’en meurt pas sur le coup. A peine quatre mètres de haut.
Rester assis et écrire ce qui vient comme ça vient, sans s’attacher à l’idée d’une perfection. Se retrouver dans le même train, en costume de ville, un costume de comptable qui rend l’homme invisible, regarder par la fenêtre du wagon, au travers de la vitre le paysage qui défile, faire le point sur sa vie, sur ce que l’on en a ou pas compris. Puis détourner le regard, arrêter avec ce genre de gymnastique intellectuelle facile. Tourner la tête vers l’intérieur, relever la tête, un peu mais pas trop pour ne pas paraitre méprisant ou arrogant. Regarder les voyageurs, planter son regard dans celui de l’autre dans une sorte d’attente vide de toute attente, une attente qui serait déjà l’événement tant attendu, un regard qui s’exclamerait mais en douceur, sans bruit, en silence « Je te connais ».
Je te connais comme je connais toutes et tous . Comment ne pourrais-je pas vous connaitre. Vous faites partie de moi depuis le premier jour ou bien je fais partie de vous, je ne sais plus très bien. La connaissance s’effectue ainsi comme une intuition, directement, pas besoin de parler, de penser, de tricher, de mentir. La connaissance recolle immédiatement les pots cassés, la haine et l’amour, le mensonge et les vérités, la nuit et le jour.
Il pourrait y avoir de la chair autour de ces os, c’est l’idée qui vient en l’écrivant, du désir, de l’envie, des regrets, des déceptions, des espoirs encore. Il pourrait y avoir des battements de cœur qui remontent jusque dans l’oreille par des voies bouchées depuis des années. Des battements de cœur, de ton cœur à toi et à toi et encore à toi , pour que je puisse entendre les miens une bonne fois, l’écouter enfin sans en être agacé.
Qu’ai-je retenu vraiment de Syracuse, qu’avais-je prévu d’y trouver surtout que je n’y ai pas trouvé. Une ville déserte se dresse face à moi lorsque je sors de la gare en plein après-midi. Une odeur de goudron dans l’air, intense chaleur, ombres épaisses, j’ai soif, je cherche une bouteille d’eau mais l’épicerie a fermé son rideau de fer. C’est toujours ainsi, le prix à payer des effusions trop fortes, l’imaginaire. Je pourrais aujourd’hui descendre au rez de chaussée, ouvrir le réfrigérateur, me remplir un verre d’eau glacé, mais ce ne sera pas la même chose, la soif sera étanchée comme ce mur fut achevé dans une fausse urgence, à la va vite.
Ce que veut dire le mot ténacité demande bien plus qu’écrire comme ça vient. On ne peut pas se cantonner dans cette superbe, dans cette prétention que procure le rôle d’auteur. Il faut passer derrière le rideau, aller faire un tour dans les coulisses, voir toute la merde, le désordre que l’urgence des spectacles produit parfois, que l’urgence produit toujours.
le lecteur pourrait avoir un rôle important, pourquoi pas le rôle principal. Il serait là pour dire à l’auteur « mais bon Dieu parle droit; cesse donc tes simagrées, va directement au but, dis les choses simplement que je te comprenne.«
L’auteur se retourne à ce moment là exactement dans le train, il regarde les autres voyageurs, les autres voyageurs le regardent. Tout le monde est dans l’attente de quelque chose – c’est ce que se dira l’auteur. Et à ce moment là le lecteur passera, bien sûr qu’il passera et il dira, « va en paix, nous n’attendons rien de toi, absolument rien« . Il y aura cette douleur encore à traverser comme un paysage de nuit, le train ralentira, puis freinera, on apercevra la pancarte Syracuse plantée sur le quai. Il y aura une minute pour attraper la valise, regarder une dernière fois les autres dans le wagon, leur sourire un peu bêtement, quelqu’un dira « et le chapeau, tu oublies le chapeau » que tu remercieras presque au bord des larmes.
tu te retrouveras seul dans la gare de Syracuse, et quelqu’un te mettra la main sur l’épaule contre toute attente. Le lecteur bien sûr est descendu en même temps que toi. Et ce lecteur sera une lectrice, bien sûr.
» Et cette bibliothèque dans le bureau dira t’elle alors, tu sais que je sais, tu ne me la feras pas, c’est certain, et la conversation continuera ainsi sur le genre de livres que j’y a fourrés pour masquer le travail bâclé.
Et tu riras, ce sera plus fort que toi à ce moment là, tu riras et la lectrice se tiendra les côtes aussi, certainement. Ce sera plus juste de dire qu’il s’agit d’une lectrice après tout.
Dans quelle mesure écrire est-il l’invention à la fois d’un auteur, d’un lecteur, d’une lectrice, mais bien sur aussi de toute une série de personnages fluctuant avec l’humeur du jour.
Dans quelle mesure écrire est-il l’invention à la fois d’un auteur, d’un lecteur, d’une lectrice, mais bien sur aussi de toute une série de personnages fluctuant avec l’humeur du jour.
L’auteur d’hier est-il le même aujourd’hui, la lectrice a t’elle la gueule de bois.
Cette sensibilité extrême à la moindre perception de changement dans l’air, au climat, à l’ambiance susceptible chaque jour de tout remettre en question, d’écrouler les châteaux de sable, d’Espagne, d’ailleurs, tout projet au bout du compte resté de façon embryonnaire à l’état d’un songe.
Les débuts sont toujours enthousiastes, remplis d’espoir, c’est tenir dans la durée le difficile, et, encore plus difficile de parvenir au but. Par exemple écrire ne serait-ce que 200 pages cohérentes.Commencer une phrase par “dans quelle mesure” rappelle ces heures interminables durant lesquelles la sensation d’être au plus bas, de n’être rien et la violence inouïe des autres qui eux sont quelqu’un où possèdent par héritage assez de confiance en eux-mêmes pour le penser.
Dans ce cours de mathématique, le professeur, un méridional, pas très grand mais râblé, un sportif, privilégiait l’affabilité avec les filles et fils de bourges aux longs cheveux mais forts en maths, et ignorait totalement tout ce qui se situait sous la moyenne.
La note 10 sur 20 est une moyenne scolaire indubitable. On ne peut pas la remettre en question. Soit on se situe au dessus soit on se situe en dessous. J’étais toujours très en dessous donc totalement invisible.
Dans quelle mesure me rappelle mes premières lectures de Kafka, à peu près à la même époque je crois. Le Château fut assez proche d’un cours de mathématique. Je n’arrivais pas à entrer dedans. Cela s’est arrangé par la suite avec Kafka, mais jamais avec les mathématiques ce qui reste un des plus douloureux regrets de ma vie. Enfin, n’exagérons pas, un regret sans adjectif se rapproche un peu plus d’une justesse.
Dans quelle mesure écrire est-il l’invention à la fois d’un auteur, d’un lecteur, d’une lectrice, mais bien sur aussi de toute une série de personnages fluctuant avec l’humeur du jour.
L’auteur d’hier est-il le même aujourd’hui, la lectrice a t’elle la gueule de bois.
Cette sensibilité extrême à la moindre perception de changement dans l’air, au climat, à l’ambiance susceptible chaque jour de tout remettre en question, d’écrouler les châteaux de sable, d’Espagne, d’ailleurs, tout projet au bout du compte resté de façon embryonnaire à l’état d’un songe.
Les débuts sont toujours enthousiastes, remplis d’espoir, c’est tenir dans la durée le difficile, et, encore plus difficile de parvenir au but. Par exemple écrire ne serait-ce que 200 pages cohérentes.Commencer une phrase par “dans quelle mesure” rappelle ces heures interminables durant lesquelles la sensation d’être au plus bas, de n’être rien et la violence inouïe des autres qui eux sont quelqu’un où possèdent par héritage assez de confiance en eux-mêmes pour le penser.
Dans ce cours de mathématique, le professeur, un méridional, pas très grand mais râblé, un sportif, privilégiait l’affabilité avec les filles et fils de bourges aux longs cheveux mais forts en maths, et ignorait totalement tout ce qui se situait sous la moyenne.
La note 10 sur 20 est une moyenne scolaire indubitable. On ne peut pas la remettre en question. Soit on se situe au dessus soit on se situe en dessous. J’étais toujours très en dessous donc totalement invisible.
Dans quelle mesure me rappelle mes premières lectures de Kafka, à peu près à la même époque je crois. Le Château fut assez proche d’un cours de mathématique. Je n’arrivais pas à entrer dedans. Cela s’est arrangé par la suite avec Kafka, mais jamais avec les mathématiques ce qui reste un des plus douloureux regrets de ma vie. Enfin, n’exagérons pas, un regret sans adjectif se rapproche un peu plus d’une justesse.
Encore que je crois dur comme fer que de nombreuses carences proviennent de ce regret très exactement. Le manque d’organisation, de méthode, la difficulté à synthétiser l’énorme quantité de données que je ne cesse jamais d’analyser.
Dans quelle mesure aussi est-ce que les mathématiques ne sont pas une sorte d’épouvantail. Un objet pratique, apparemment identifiable mais qui masque tout autre chose, ce ne serait pas nouveau. Ce serait déjà vu. Car en philosophie je n’avais aucun soucis, j’étais amoureux de ma prof. Ce qui n’est pas non plus une panacée. Être aussi dépendant des sentiments n’a jamais rien valu de bon sauf quelques illusions supplémentaires. Des illusions suffisantes pour faire philo à la fac ensuite par exemple.
Comment se constitue l’auteur au fur et à mesure des années sinon par tout ce qu’on lui renvoie de lui-même de l’extérieur, toutes ces données qu’il décortique sans relâche et qui finissent par l’envahir, par le submerger totalement.
J’avais écrit un texte sur une partie de ping-pong en Italie, voilà que ça me revient tout à coup mais où l’ai-je fourré ? Il doit être quelque part sur ce blog. Je crois que l’exemple d’une partie de ping-pong, à l’heure de la sieste, cristallise bien cet histoire de données que l’on reçoit, que l’on essaie de traiter, qu’on ne parvient pas à synthétiser, la somnolence qui en résulte. Une capitulation dans la somnolence.
Dans quelle mesure cette somnolence se rapproche t’elle de l’acte d’écrire. Lorsque l’on se trouve confronté au mot somnolence il possède une aura qui nous repousse, comme le mot mathématique d’ailleurs maintenant que j’y pense. Et il suffirait de tenir ne serait-ce que quelques instants de plus, de ne pas fuir, pour que les mots écriture se distingue du brouillard entourant le premier et poésie du second.
Ainsi l’obstacle est bien ce mur que nous inventons de toutes pièces parce qu’il faut un mur. Parce que sans mur nous frapperions le vide, ce qui semble à nos yeux beaucoup plus ridicule que de frapper qui ou quoi que ce soit.
Et pourtant nous ne cessons jamais de frapper dans le vide c’est bel et bien une réalité.
Ecrire est-il encore une illusion de ce genre, frapper sur le clavier rassure t’il l’auteur qu’il ne frappe pas le vide encore ?
Et pourquoi la relation au vide se résume t’elle à cela uniquement pour toi ? Pourquoi combattre le vide, pourquoi faire du vide l’ennemi, pourquoi les choses se retournent tellement tout le temps ainsi, pourquoi le vide est-il un épouvantail lui aussi ?
Dans quelle mesure le plaisir est-il dans la question, dans les questions bien plus que dans n’importe quelle réponse que l’on donnerait à la hâte pour en finir.
Il faudrait une alternance, une alternance est nécessaire, le simple fait de revenir à la ligne est déjà le signe de ce désir d’alternance.
Chance. dans la zone de recherche de mon blog, qui devient à la fois une cave comme un grenier, une sorte d’immense fourre tout je trouve plusieurs textes avec le mot clef « ping-pong » et celui que je cherche se présente en premier.
En le relisant je m’aperçois qu’il débouche sur une référence à Miller, son sourire au pied de l’échelle et aussi à un moment où j’avais voulu faire les choses un peu plus en profondeur. Ce travail de quelques mois sur les clowns qui m’avait conduit à Censier, dans les fins fonds d’une bibliothèque spécialisée sur le sujet. Puis au Cirque d’Hiver où j’avais eu la chance de boire quelques verres avec de vieux clowns, ce qui m’avait ensuite propulsé vers La Villette pour rencontrer Annie Fratellini et lui énoncer de vive voix l’idée qui ne me lâchait plus et dont j’aurais adoré qu’elle aboutisse un jour sous la forme d’un film qui ne se fera jamais.
L’analogie, le rapprochement de deux choses en apparence totalement distinctes un rapprochement incongru, participe de cette résistance que j’entretiens avec un bon sens proche d’un monarque espagnol pour lequel on tue on pille et viole.
Le personnage d’Auguste se confond parfois avec l’auteur, ou vice versa. Monsieur Loyal bien qu’invisible semble malgré tout veiller au grain. Il y a ce rond de lumière, ce type qui passe son temps à se retrouver le cul par terre, et qui fait beaucoup rire dans les gradins et dans la périphérie, dans l’ombre, ce fameux bon sens qui n’éprouve à son encontre comme d’ailleurs les spectateurs, aucune compassion. Les gens veulent rire. Quelqu’un se casse la gueule devant eux ça les fait rire. C’est comme ça, dit le bon sens et il ajoute aussi tu ne peux pas changer ce qui est. Ce qui bien sûr accélère la fréquence des chutes mais aussi tous ces moments où l’on se relève.
Il s’accroche comme une moule à son rocher. Non mais regarde-le. Il a tellement peur de le lâcher qu’il s’accroche, regarde ses doigts deviennent des griffes, il va finir par ressembler à un de ses vautours qui s’abattent sur une charogne. D’ailleurs ça y est, c’est un vautour qu’est ce que je te disais. Aussitôt dit aussitôt fait. Qu’est ce qui l’attire tant dans la charogne. Ah mais c’est vraiment trop dégueu. Il arrache un lambeau de chair et il plonge son bec pour l’attraper, son œil rond scrute les alentours pour voir si personne ne viendra le déranger. Un œil rond et inquiet. Un œil de fou. Un vautour cinglé monomaniaque, voilà ce qu’il est, tu ne trouves pas. Dommage que la photographie soit en noir et blanc. Et en même temps je ne sais pas, on ne peut que le plaindre. Pauvre vautour cinglé monomaniaque accroché comme une moule à son rocher.
Heureusement qu’on n’est pas comme ça. Nous on est en vie, dans la vie, vivant. Nous on ne sera jamais comme lui.
tu ne dis rien, tu pourrais me répondre au moins, hein qu’on ne sera jamais comme lui ?
Tu ne dis rien, tu t’en fous de ce que je suis en train de te dire c’est ça, pauvre con va …
Une fascination soudaine, supprimer soudaine. Une fascination, une sidération. choisir un des deux ou les laisser. Un arrêt sur image, un photographie. Est-ce un cliché ?
Volets clos ce matin. installé à la table depuis 4h du matin, il est 8h39. Cette difficulté à s’arracher pour s’en remettre aux tâches quotidiennes. Prendre une douche. Changer de peau, enfiler un autre costume, entrer dans la danse faire comme si.
effectuer ensuite quelques pas en arrière pour observer la scène. Prendre une photographie au besoin. voler quelque chose encore au besoin.
Un accident s'est produit, une partie du texte est en double. Les blocs marqués comme invalides en brouillon réapparaissent à la publication une fois qu'ils ont été supprimés. Ne pas mettre la poussière sous le tapis. Laisser tel quel pour l'instant
« Un homme se fixe la tâche de dessiner le monde. Tout au long de l’année, il peuple l’espace d’images de provinces, de royaumes, de montagnes, de golfes, de vaisseaux, de royaumes, de montagnes, de golfes, de vaisseaux, de maisons, d’instruments, d’astres, de chevaux et de personnes. Peu avant de mourir il découvre que ce patient labyrinthe de lignes trace l’image de son visage. »
Jorge-Luis Borges, L’auteur, nouvelle édition, Gallimard, 1999.
Désormais les caméras nous dit-on « reconnaissent » les visages, on parle surtout de reconnaissance faciale, pour les profils il y a déjà les réseaux sociaux parait-il.
Mais un visage est-il seulement une accumulation même singulière de données numériques ? Ce qu’on croit savoir d’un visage, un visage familier, on croit le savoir, et parfois on peut ne plus y croire, on ne plus accepter de le croire, on refuse de le croire.
Et toutes les conditions qu’il s’agit de toujours réunir pour reconnaître un visage, jusqu’à ce que les conditions ne valent plus rien, que soudain surgisse l’inconnu comme un nez au milieu de ce visage.
Ce sont des enfantillages mais qu’ils sont terrifiants au regard de l’enfant sans visage, dans l’attente de trouver le sien.
L’écriture est proche du venin de grenouille, on l’absorbe à petite dose jour après jour, on paie d’abord l’addition, on se purge en profondeur et longtemps avant de commencer à en éprouver les prémisses d’un mieux-être.
Se fixer la tâche de dessiner, d’écrire, de se peindre le visage, de s’abstraire peu à peu de cette obsédante fixité. Tomber sur une autre, peut-être cette compassion qui ressemble un moment à un havre de paix. Mais ça ne s’arrête pas là, aimer l’ombre demande encore bien plus, aimer ce qui n’a pas de visage du tout, ce qui n’en n’aura jamais, un livre invisible, illisible, sans couverture, sans page à tourner, sans signe inscrit noir sur blanc, sans début ni fin.
Il y a deux ans désormais ce recueil de poésies de G. m’avait beaucoup impressionné. Tout ce qui illumine. Et dont le thème est l’incapacité à voir un visage dans son ensemble.
J’étais déjà dans une profonde dépression, dans cette dépression qui ne m’a jamais vraiment quitté. Dans cette dépression qui prend son origine à la naissance même, quand on me place dans une couveuse et que j’y réside deux mois pour commencer. J’utilise ce mot de dépression parce qu’il semble résumer toute cette difficulté à vivre avec les autres comme avec moi-même. C’est aussi cette dépression permanente qui m’a conduit à être qui je suis. Et pas bien important de porter un jugement sur qui je suis, de rester dans la binarité du plaisir et du déplaisir. Ce qui est évident c’est qu’une pièce possède toujours deux faces, ou deux visages comme Janus. On peut bien décider arbitrairement laquelle sera la bonne ou la mauvaise, ça ne résout en rien le mystère que représente cette pièce ou ce visage. Si l’on sort de la binarité si l’on arrête de dire « double face » il reste seulement une pièce un visage une médaille.
Ce travail d’écriture est toujours à peu près le même, est proche de la même quête d’épuiser chaque élément d’un visage. De revoir mille fois la même bouche, le même œil, le même sourcil, et ce sans jamais dire ou accepter de dire je te connais, je sais qui tu es. Le refuser farouchement.
C’est partir en sens inverse de la phrase de Borges, partir de la négation du visage pour parvenir au paysage, à l’espace.