Se dire que derrière l’apparence de ce monde, il en existe vraiment un autre. Et que l’on n’est pas seul à l’arpenter. On est plusieurs à y bégayer. À tenter de se dire. C’était un soir de septembre. Vers la fin du vingtième siècle. J’avais vu un entrefilet dans le journal local. Trois ou quatre lignes qui mentionnaient le démarrage d’un atelier d’écriture. Un numéro de téléphone. On me fixe le jour et l’heure. Je joue à pile ou face : une place pour me garer dans la rue indiquée, j’y vais ; pas de place je rentre chez moi. Trois emplacements libres. Mains humides, voix nouée, j’avance. Nous serons une dizaine autour d’une table. Je ne connais personne. Le lieu est magnifique : une bibliothèque d’art qui surplombe la ville. Le regard peut s’échapper dans cette vue que je découvre, ou se resserrer sur des livres d’art. L’animateur propose un texte qui tranche avec ce que j’ai l’habitude de lire. La première phrase est lancée. Je l’attrape comme on s’accroche à une liane : Je suis les racines rouges du ciel. Et cela s’écrit, comme jamais je n’avais écrit. Cela s’écrit sur un bloc sténo. Au feutre noir et fin. D’une écriture ample. Avec quelques ratures. Des mots se cherchent. Il se passe autre chose que ce que je gribouille dans le secret de mon bureau. Puis chacun lit, chacun écoute. Je lis d’une voix peu assurée. Je suis écoutée. La tension retombe. Le regard s’apaise. Quelque chose vient de s’allumer.
Je suis les racines rouges du ciel.Quel beau début, on aimerait lire la suite!
C’est le début d’un poème de Claude Pélieu…