Je ne l’ai pas vu arriver ; plutôt ennuyée pendant les séances d’un atelier d’écriture – le tout premier – que j’ai décidé de suivre pour faire compagnie à une amie. J’observais les membres de cette petite équipe, gratouillais des notes, écoutais la lecture des autres textes que la professeure qualifiait invariablement de géniaux, superbes, extraordinaires, ce qui m’énervait. Un des textes que j’ai écrits m’a un peu lancée dans le doute, mais ne m’a pas impressionnée, car il décrit une de mes phobies – j’ai peur de descendre des escaliers trop hauts – et raconte la brève histoire d’une femme qui travaille dans un ancien monastère transformé en bibliothèque avec un immense escalier de marbre qu’elle doit sans cesse descendre les bras chargés de livres. Le second m’a totalement échappé, je l’ai écrit comme on déroule un écheveau de laine, mécaniquement, presqu’en pensant à autre chose. Les mots n’étaient pas les miens, je ne les avais pas pensés, moi qui étais fermement persuadée qu’il fallait faire exactement le contraire. Ce n’était ni un souvenir, ni une phobie, ni une description, comme le demandait la consigne. C’était juste une constatation sur l’absence d’une partie de mon corps, un texte manuscrit d’environ 15 lignes. Après avoir lu mon texte devant tout le monde, la professeure a proféré son habituel « Extraordinaire », et moi j’ai tourné la page pour commencer un autre exercice. Je ne me suis pas rendu compte immédiatement que je venais d’écrire quelque chose de différent. C’est seulement quand j’ai voulu répéter la prouesse que j’ai compris que cela n’était pas donné.
histoire d’une femme qui travaille dans un ancien monastère transformé en bibliothèque avec un immense escalier de marbre qu’elle doit sans cesse descendre les bras chargés de livres. » cette image est très forte surtout liée la peur des escaliers (de l’écriture…)
C’est très bien perçu, je n’y avais pas pensé ! Merci infiniment de ton commentaire, Catherine !
« Les mots n’étaient pas les miens, je ne les avais pas pensés, moi qui étais fermement persuadée qu’il fallait faire exactement le contraire. Ce n’était ni un souvenir, ni une phobie, ni une description, comme le demandait la consigne. C’était juste une constatation sur l’absence d’une partie de mon corps, un texte manuscrit d’environ 15 lignes. »
c’était probablement extraordinaire…..
« les bras chargés de livres » des autres…
Quand un texte nous échappe des mains (et dans le texte en question ce sont les mains qui manquent), il peut ne pas être extraordinaire, mais il est important, il nous dit que l’écriture est là malgré et sans nous. Merci, Véronique !