Le fond d’un couloir assez large, juste après les portes des deux dernières pièces qui se font face, une table de chêne d’une parfaite banalité mais qui de sa largeur presque strictement égale à celle de cet espace tirait des proportions d’une discrète beauté, supportant une bibliothèque vitrée abritant des livres anciennement lus affichés comme des témoins, et ne laissant libre que la profondeur nécessaire pour y poser un grand cahier à côté d’un petit portable, d’un pot en faïence de Moustiers contenant ciseaux, crayons, feutres, objets de passage, deux piles branlantes de carnets et de livres. C’était tout ce qu’il fallait, d’ailleurs c’était tout ce qui était possible. Avec le côté précaire nécessaire pour qui n’écrivait qu’à côté de la vie. Même si cet à côté prenait une place devenue trop grande, demandant cela au moins, un endroit pour écrire. Pour, puisqu’avait consenti au sérieux, ou le pensait, s’y consacrer réellement. Décision qui ne semblait pourtant pas suivie d’un effet éblouissant, décision qui paralysait l’avancée du texte, des idées, qu’elle devait favoriser, décision qui renforçait l’élan avec lequel s’éparpillaient les idées non invités vers des espaces fantaisistes, ou parfois d’un réalisme affligeant comme le rappel de tâches domestiques. S’éloignait après un regard d’excuse aux petits éléments rassemblés : une ébauche très vague de plan, quelques noms acceptés comme des tremplins à la découverte de personnages et de ce qu’ils devaient amener, s’éloignait, allait dans la ville, retrouvait créatures de chair et esprit aimées, indifférentes ou autres, bavardes ou taciturnes | préférables celles-ci pour la liberté donnée | et un rayon de soleil, une pierre, un mot venu dans une jacasserie, un moment d’ennui, réveillait un phrase, posait un trait de caractère, donnait une direction, posait une inflexion, ramenait vers ce qui avait été abandonné. Revenait, s’asseyait, notait ce qui était venu, constatait que cela ne se raccordait pas, ou ne savait comment, ouvrait un fichier à part, prenait du Bach, des troubadours, des tambours du Burundi ou du jazz selon les jours, dans l’espoir que lentement son esprit démêle la brume où se trouvait, et dérivait vers une quelconque vidéo idiote, avec une jubilation mêlée d’un mépris résigné, serein, détaché pour cet abandon. A lu des mémoires, a découvert la discipline que s’imposaient certains auteurs aimés qui lui semblaient secréter naturellement et facilement les phrases admirées. A commencé, chaque fois, en s’installant, à relire ce qui s’était écrit. Corrigeait et s’embarquait en plongée un peu désordonnée, qui de relecture en relecture, de retouche en déplacement, élagage, prenait sens. C’est devenu un besoin, une habitude – a continué tout en se refusant longtemps à croire en une valeur quelconque de ce que s’extirpait, mais parce que « tant qu’à écrire autant tenter de le faire bien ».
parfaitement – et ça ne vaut pas que our écrire… merci de ces lumières
grand merci pour votre gentil et rapide passage
Tant qu’à écrire autant tenter de le faire bien…
Je suis dans cet état d’esprit, également. Beaucoup trop. Jusqu’à l’handicap.
Ma phrase préférée : « C’était tout ce qu’il fallait, d’ailleurs c’était tout ce qui était possible. »
merci 🙂
Merci Brigitte. J’aime bien ce signe rare de ponctuation dans ton texte, la barre verticale. Bravo pour le bouquet disparate que tu évoques lors du passage à l’écriture.
merci
[…] Avec le côté précaire nécessaire pour qui n’écrivait qu’à côté de la vie. Même si cet à côté prenait une place devenue trop grande, demandant cela au moins, un endroit pour écrire. Pour, puisqu’avait consenti au sérieux, ou le pensait, s’y consacrer réellement. Décision qui ne semblait pourtant pas suivie d’un effet éblouissant, décision qui paralysait l’avancée du texte, des idées, qu’elle devait favoriser, décision qui renforçait l’élan avec lequel s’éparpillaient les idées non invités vers des espaces fantaisistes, ou parfois d’un réalisme affligeant comme le rappel de tâches domestiques […]
Chère Brigitte, comme je comprends cette tension pénible entre le savoir et le pouvoir écrire à la hauteur de ses propres provisions de mots remuées comme des numéros de loto dans un boulier infernal d’imprésivibilité. Vais-je avoir la force de mon désir d’écrire ? Vais-je avoir le désir de la force d’écrire ? C’est le deal permanent. Cette grosse table massive de chêne, inhospitalière assortie à la bibliothèque m’est familière, elle est celle que j’encombre et désencombre par vagues et par lubies. Elle n’a jamais la même allure, et elle reste mutique devant les « efforts » que toute entreprise d’écrire « sérieusement » requiert. 1 2 3 on le sait, ça commence quelque chose, mais il ne faut compter que sur soi pour gagner la mise de satisfaction du jour. Admettons qu’on puisse perdre tout en un seul coup de souris , on rate et on recommence ? On retourne se coucher ? Le roman attendra…
Marie-Thérèse je dirais que ce qu’il y a de mieux dans cela c’est votre commentaire 🙂
Ah, non de non Brigitte ! ce qu’il y a de mieux c’est l’envie d’écrire malgré l’usure du dire…
« dans l’espoir que lentement son esprit démêle la brume où se trouvait »
Merci, merci, merci Brigitte.
Votre texte à la force et la beauté du vent, ce frère jumeau du brouillard, et qui justement parvient à le chasser;
🙂 merci Ugo
« Le vent frère jumeau du brouillard » hérérozygote sans doute mais pas moins solidaire. Je te rejoins dans ton mouvement de réponse à Brigitte qui ne semble pas se rendre compte de l’effet qu’elle fait en sortant du brouillard.
et me voici écarlate
Belle évocation des états contradictoires des forces qui nous émeuvent au moment de l’entrée en écriture. Merci Brigitte.
merci
Qu’est-ce que j’aime vos textes! toujours cet embrouillamini précis de sensations de matières de fiction, désinvolte presque toujours (tout est dans ce presque), léger, désordonné et vivant. merci
merci Lisa
Brigitte,
Plaisir de vous lire.
Je retiens quelque chose de l’ordre du mouvement dans votre texte. L’écriture comme un mouvement. Aller, venir, repartir, revenir. C’est beau.
Et ce passage « Pour, puisqu’avait consenti au sérieux, ou le pensait, s’y consacrer réellement. Décision qui ne semblait pourtant pas suivie d’un effet éblouissant, décision qui paralysait l’avancée du texte… ». Oui, ce rapport parfois dur avec soi et l’écriture qui au final empêche l’écriture. C’est très juste.
Merci.
Belle soirée.
Et à bientôt.
merci
(elle)… « s’embarquait en plongée un peu désordonnée, qui de relecture en relecture, de retouche en déplacement, élagage, prenait sens ».
Il y a dans votre texte quelque chose qui nous parle, comme un travail de fourmi, une obstination. C’est beau. Merci.
merci à vous et pardon demandé de mon peu de passage sur tous ces beaux textes, ma petite vie a tendance à me dépasser de plus en plus
ah cet art du labeur, merveilleux, merci Brigitte
merciiii
Je suis impressionnée par l’acuité, le raisonnement ultra précis, le visuel, si sûr, si entier, et ce « écrire à côté de la vie » qui remue bien des choses…
Et puis, emballement absolu, souvenirs personnels exactement reliés à ces mots : « Revenait, s’asseyait, notait ce qui était venu, constatait que cela ne se raccordait pas, ou ne savait comment, ouvrait un fichier à part, prenait du Bach, des troubadours, des tambours du Burundi ou du jazz selon les jours, dans l’espoir que lentement son esprit démêle la brume où se trouvait, et dérivait vers une quelconque vidéo idiote, avec une jubilation mêlée d’un mépris résigné, serein, détaché pour cet abandon. »
Un immense merci Brigitte !!
merci grand … là je me bats avec le bis et crois que vais abandonner et vous lire demain autant que pourrais
oh Brigitte quelle belle déconstruction avec l’humour et tout le sérieux qu’il faut … et le cadre si bien décrit, toujours le sens du décor (… « c’était tout ce qu’il fallait, d’ailleurs c’était tout ce qui était possible. Avec le côté précaire nécessaire pour qui n’écrivait qu’à côté de la vie. Même si cet à côté prenait une place devenue trop grande, demandant cela au moins, un endroit pour écrire »). Tout le processus est là et ses dérives en musique et vidéo … « c’est devenu un besoin, une habitude – a continué tout en se refusant longtemps à croire en une valeur quelconque de ce que s’extirpait, mais parce que « tant qu’à écrire autant tenter de le faire bien ». » Besoin habitude je n’ai pas su le dire. Merci
merci Nathalie… mais j’ai peiné hier pour le bis avant d’abandonner, vais tenter ce jour mais pas mal de petites et mins petites choses à faire et pensées autres en crâne… et tenter de ronger mon honteux retard de lecture demain – championne du vellléitaire – et êtes tus si gentils et talentueux
Quel texte magnifique, et cette obstination pas convaincue mais jamais résignée si familière,… la nature du travail même, les multiples tâtonnements, corrections, relectures, retouches qui finissent par venir à bout de l’équation des phrases à résoudre… et comme d’habitude chez vous, les descriptions du cadre qui happe… ça résonne fort.
oh merci