Je pensais l’avoir jeté, il vivait quelque part dans des souvenirs, dans mon regard, et si son nom me revisitais je n’aurais su dire ce qui relevait de mes anciennes lectures ou ce qui revenait à mon penchant naturel pour ce qu’il évoquait… l’ai retrouvé, toujours loque, couverture souple réunie comme pouvait à la première page par des bouts de scotch jaunis et renforcée/doublée d’un papier de Noël naïf, feuilles presque grumeleuses de vieillesse, brunies, comme épaissies qui m’ont fait hésiter, moi qui suis pourtant si peu susceptible de la chose, à mettre des gants pour en tourner les pages mais pour la raison inverse de celle des bibliothécaires auxquels sont confiés des trésors (ce que d’ailleurs n’ai pas fait, retrouvant rapidement le plaisir de le feuilleter tel qu’il était).. il était donc toujours là, le second, celui de la vraie lecture il y a une cinquantaine d’années ou un peu plus dont je ne saurais dire comment il est venu à moi, sauf un petit sentiment d’illégitimité qui m’en a fait censurer le souvenir, quelque chose comme une découverte dans un dépotoir, dans une benne, dans un écart quelconque qui a éveillé ma curiosité et me l’a fait emporter, larcin sans importance, mue par le désir de savoir ce qui se cachait derrière le récit quasi légendaire de l’édition pour la jeunesse de ma prime adolescence.
Mais ce qui lui donne ce semblant ou cette réalité d’importance pour moi, même relu très rarement (viens de parcourir à nouveau sa masse, m’attardant plus ou moins dans mon parcours rapide comme volé au temps), ce n’est pas cette légende qui fait de son titre presque un thème, une banalité, c’est justement cette seconde et vraie lecture, en un temps où l’idée de roman, du moins postérieure aux grands romans effleurés à l’école puis dévorés, me faisait bailler honteusement ce qui m’a tenue à l’écart d’une bonne partie de la littérature du second vingtième siècle, sauf deux noms : Sarraute et Simon (faut dire que j’avais eu de la chance en tombant sur eux) cette lecture à œil neuf et le plaisir de découvrir que ce n’était pas un roman, ou alors hautement impur (comme finalement ce qu’avaient écrit les deux noms précités… et sans doute plusieurs de leurs contemporains et j’ai commencer à aller y voir).
Impur, pas tant par la série de citations qui lui sert d’introduction, que par l’entrelacement du récit, avec ce mélange d’humour, de lyrisme, de prosaïsme, de religiosité et de paganisme affiché, de ce récit donc auquel se réduisent souvent les évocations qui en sont faites, tellement qu’il est devenu un archétype, l’un de ces livres dont on reparle encore même passé de mode et sans l’avoir lu, et des chapitres documentaires, même si leur côté quasi scolaire revendiqué est contaminé par les légendes et l’humour qui flotte sur l’ensemble, leçons sur la matérialité de l’aventure et sur la sociologie de ceux qui la vivent.
Cet humour qui baigne toujours le sérieux de cet écrivain et qui m’est devenu plus évident dans ma rapide relecture de ces derniers jours après la découverte ravie lors du rapt de cette loque de cette « impureté », ces incessants changement de tons.
Alors ne saurais dire s’il a éveillé en moi ou simplement adhéré à ma tendance naturelle, le besoin de rêve, de saute-mouton, de ruptures internes, de dérives incessantes enrichissant le récit comme de gros cabochons barbares, de combinaison entre le réel plus contraignant et solide et le remuement du magma de légendes qui ont toujours été au fond de la vie des humains, jusqu’à ce que les civilisations et l’ordre les neutralise, les ravalant au rang d’ornements. Peut-être a-t-il simplement flatté mon désir d’échapper aux occupations qui relevaient, encore plus strictement à l’époque de ma jeunesse et entrée dans la vie de mon « genre » (qui m’ont, ado, fait craindre ou fuir les femmes) et à ce « non » qui me vient si facilement devant tout ordre (auquel j’obéis parce qu’il me serait encore plus désagréable d’être sanctionnée par cette chose méprisable) – contente de découvrir que même si je j’ai évolué avec l’âge très loin, parfois à rebours de ces réactions ne gardant que le goût de légères amitiés masculines, l’amour ce cet élément qui baigne ce récit et le refus de suivre ce qui est imposé comme ordre d’actes et de pensées, le charme est resté intact, avec ds inflexions légèrement différentes.
Quant à en parler, j’ai appris, hors ma découverte d’internet, à ne pas évoquer mes goûts de lectures ou spectacles qui se heurtaient à des goûts différents, je tente dé découvrir ce qui peut convenir à la personne à laquelle je me risque à offrir un livre sans tenir compte de mes goûts, et me suis très longtemps (j’en reviens heureusement) désintéressée de la vie des auteurs que j’aimais lire.
« l’ai retrouvé, toujours loque, couverture souple réunie comme pouvait à la première page par des bouts de scotch jaunis et renforcée/doublée d’un papier de Noël naïf, feuilles presque grumeleuses de vieillesse, brunies, comme épaissies qui m’ont fait hésiter, moi qui suis pourtant si peu susceptible de la chose, à mettre des gants pour en tourner les pages mais pour la raison inverse de elle des bibliothécaires auxquels sont confiés des trésors » – INCROYABLE de découvrir la complicité du livre INCONNU , oullié mais non pas perdu qui revient fidèle dans les mots de la LECTRICE chenue que vous êtes. J’aime aussi beaucoup garder les livres qui ont une histoire, non d’auteur.e, mais une histoire de vies passées, soit disant révolues, gardées comme des reliques discrètes. Leur charme tient essentiellement à leur résistance à la relégation.
mais en l’occurence ce n’est pas l’objet que j’avais envie de retrouver (me suis même étonnée de l’avoir toujours, en ai abandonnés de moins amochés) mais le texte…ai m^me eu un moment de regret puisque ces temps ci n’ai pas de budget livre
Et çà aussi « Alors ne saurais dire s’il a éveillé en moi ou simplement adhéré à ma tendance naturelle, le besoin de rêve, de saute-mouton, de ruptures internes, de dérives incessantes enrichissant le récit comme de gros cabochons barbares, de combinaison entre le réel plus contraignant et solide et le remuement du magma de légendes qui ont toujours été au fond de la vie des humains, jusqu’à ce que les civilisations et l’ordre les neutralise, les ravalant au rang d’ornements. » . Je m’y retrouve entièrement. Merci Brigitte d’avoir exhumé cet « impur » ou radié des catalogues… J’aime de plus en plus les boîtes à livres pour ce genre de re-découvertes ! En prime, l’instant pub locale :https://www.bm-lyon.fr/16-bibliotheques-et-un-bibliobus/a-propos-de-la-bibliotheque-municipale-de-lyon/actualite/article/la-braderie-de-la-bibliotheque
oui c’est bien cet &crémage des bibliothèques… en ai acheté un ou ou deux ici (livrée Ceccano)
Plaisir de retrouver l’atelier en général plaisir de retrouver votre écriture en particulier (avec d’autres bien sûr) et ce grand goût des détails et des digressions fines..
merci (et mes fautes de frappe… sais pas si je les ai toutes découvertes)
C’est drôlement bien parti… !
la suite ne sera certainement pas à la hauteur de ce livre qui est tout de même un sacré monument
« Alors ne saurais dire s’il a éveillé en moi ou simplement adhéré à ma tendance naturelle, le besoin de rêve, de saute-mouton, de ruptures internes, de dérives incessantes enrichissant le récit comme de gros cabochons barbares, de combinaison entre le réel plus contraignant et solide et le remuement du magma de légendes qui ont toujours été au fond de la vie des humains, jusqu’à ce que les civilisations et l’ordre les neutralise, les ravalant au rang d’ornements. Peut-être a-t-il simplement flatté mon désir d’échapper aux occupations qui relevaient, encore plus strictement à l’époque de ma jeunesse et entrée dans la vie de mon « genre » … » éveiller/échapper quel beau texte Brigitte (volé au temps) Merci
merci Nathalie
Le livre loque, le livre défait, le livre intouchable comme clef d’entrée vers une narratrice lucide et rude, on en redemande,
Belle suite à ces entre-mêlements, et contre-points,
merci Catherine
« besoin de rêve, de saute-mouton, de ruptures internes, de dérives incessantes » (ton portrait :-))
merci
Il fallait bien une pareille trouvaille pour qu’il y ait retrouvailles.
Très bien énoncée, la raison qui amène les vraies rebelles à faire profil bas : « tout ordre (auquel j’obéis parce qu’il me serait encore plus désagréable d’être sanctionnée par cette chose méprisable). Brigitte, vous êtes un modèle de fée fâchée. Faites-nous toutes les simagrées nécessaires mais ne nous lâchez pas cet été : il va vous aller comme un gant cet atelier!
🙂
J’ai rangé mes étagères de livre ce matin et votre texte fait écho à bien des pensées qui m’ont traversées! Le livre dont on ne sait plus s’il est encore physiquement là, mais qui s’est mélangé aux souvenirs, aux pensées, à soi plus largement. J’aime bien ce récit de retrouvailles.
merci Francesca