Minéral
Tu viens du roc, on te dit solide et pourtant un jour, tu t’en es détaché, tu as pris la tangente, ou plus exactement la pente, surtout pas douce sinon tu traines, donc tu prends de l’élan pour la dévaler, sans cheval et hop, hop, plouf. Car il y a toujours un cours d’eau au pied, à portée de jet. Tu as remarqué que chaque choc entamait ton intégrité. Tu as laissé de toi derrière toi, peut être assez de quoi guider un petit Poucet. De roc tu es passé pierre et quelque randonneur te posera en tas pour te faire kern, indicateurs de chemin. Ou tu rouleras ta bosse sans te faire mousser. Tu traces ta route.
Si le cœur t’en dit, tu te laisseras choir dans l’onde. Ta vie deviendra aquatique, tes arêtes vives seront caressées, polies et tu te feras galet. Tu cacheras la truite qui te chantera sa liberté. Au hasard de crues, tu resteras sur la berge, en attente de futur. Tu passeras caillou, tu pourras plaire au lanceur de ricocher qui te grisera en te faisant voler et même marcher sur l’eau. Tu te sentiras fondre dans le temps et dans l’histoire, tu seras envoyé au diable, le plus loin possible et ton grain de sable fera dérailler l’engrenage. Est-ce ta force initiale qui te permet l’exploit ? Et puis, lassé de tout ce travail, tu arriveras sur la plage écouter le flux et le reflux te bercer, te raconter son possible d’eau qui retourne voir le roc du début. Combien de temps entre ces deux moments, quel espace pour les cycles, quelle place peut-on envier ?
Part d’éternité dans ma main, je t’ai jeté après t’avoir caressé et j’ai souhaité le bon geste pour le plus long vol plané. Quelques effleurements sur l’onde, des rebondissements qui se comptent. J’ai dénombré tes bonds, je me suis mesurée à moi-même, espérant une progression, une embellie, l’amélioration du geste, du choix du caillou, je t’ai déplacé et peut être noyé pour mon bonheur, la satisfaction intime, constaté qu’un morceau de rocher peut donner du bonheur.
« Quel âge tu lui donnes ? » Question incongrue pour une pierre. Racontes-tu la mer qui t’a enfantée ? Gardes-tu de la terre la chaleur de son noyau lorsqu’elle qui t’a éjectée ? Quel secret conserves-tu dans tes entrailles après la pression gigantesque qui t’as comprimée ? Que dit ta présence silencieuse sur ce sentier. Que ressens-tu lorsque je te fais rouler ? Et si je shoote seras-tu satisfaite de ton déplacement ? Le silence que tu m’opposes ne m’explique rien et je dois imaginer tes réponses dans les plis du temps.
Où t’ai-je ramassée déjà ? Sur le sentier, tu étais là, tu attendais ton heure, sans crainte. Les pluies diluviennes, les coups de pied de passages, le vent, les éléments t’ont fait croiser mon chemin et participer à notre rencontre. Un regard a suffi. Est-ce ta couleur, ta forme qui m’ont plu. Je ne saurais dire cet instant magique qui fait qu’il y a élection, choix. Du chemin poussiéreux tu es passée dans mon sac, ballotée par ma marche, protégée peut être mais aussi enfermée. Puis je t’ai posée sur une étagère où j’ai pu t’admirer et aussi t’oublier. Tu as pris la poussière, je t’ai pris ta liberté, je t’ai imposé un décor, un environnement que tu attends patiemment de quitter, au hasard d’un cadeau, d’un déménagement. Tu as le temps pour toi, ta route ne s’arrête pas.