Elle a cinquante ans se retrouve debout devant la fenêtre et ne voit ni la fenêtre ni son reflet non elle voit tout noir sans se rendre compte qu’un grand soleil d’été traverse les branches du grand arbre mais sa mère vient de mourir et elle va tenir compagnie à ce père aimé débordé hypersensible mot inconnu encore colérique et hargneux au point de l’accueillir par la énième menace de passer par la fenêtre ouverte vas-y saute crument dit et méchamment pour le coup mais c’est sorti tout seul il y a longtemps qu’elle aurait dû le calmer sans savoir comment s’y prendre à treize ans déjà devant une autre fenêtre qui donne sur une cour entourée de quatre immeubles gris sans un seul morceau de ciel rien il ne se passe rien dehors ni dedans l’appartement et son intérieur à elle vide mais plein de questions sans réponses on ne parle jamais de ce qui est important ici encore moins six ans plus tard elle vient tout juste de rencontrer André veut voir ses parents il ne rentrera même pas question vous n’êtes pas le bienvenu pas question d’ouvrir la fenêtre pourtant au rez-de-chaussée complètement pétrifiée elle le verra repartir en voiture elle n’osera pas personne ne s’oppose à lui et elle non plus même là elle n’a pas les mots même pas l’idée venue bien plus tard qu’elle aurait pu passer par la fenêtre et le rejoindre ce qu’elle fera peu de temps après car la mère si craintive et soumise a dû lui parler lui toujours tracassé embrouillé mais bousillé enfant il bousillera les autres pas André qui insistera ira le voir à son travail et lui dire ce qu’il est vraiment lui et sa famille picarde si bien que peu de temps après ils sont partis tous les deux et depuis une grande respiration s’est installée en elle et lui solide et pieds sur terre rendra possible cette ouverture au monde devant une autre fenêtre plein ouest tous les soirs de toutes les années elle verra le soleil de sa cuisine et tous les soirs il rentre les enfants jouent elle est sortie de la grisaille et de l’ennui désorientée avant et toute orientée maintenant un plein de vie une joie qui s’installeront durablement malgré les coups durs si durs qu’elle a failli replonger elle ressurgira toujours même en ce moment plus tard bien plus tard où ils sentent tous les deux que ça n’ira pas loin pour lui ses yeux traversent la vitre s’enfonçant dans le grand arbre mais ne voit rien juste un instant arrêtée par une bulle sur un carreau elle ne veut plus penser du tout la vie va s’arrêter retenir retenir la vie encore pendant que lui sait qu’il meurt et prépare avec ses enfants les détails pratiques sur sa tombe tous impressionnés et admiratifs par son calme leur permettant d’être là avec lui de son fauteuil il regarde par la fenêtre cet arbre qu’il a planté elle continuera sans lui mais avec lui dans sa voiture elle regarde à travers le pare-brise rouler encore et encore rouler longtemps voir défiler le dehors lui donne une accroche comme lorsqu’il lui disait chante tu verras ça va aller on peut faire semblant d’être heureux de temps en temps point de lamentations disait son arrière grand-mère point de lamentations elle répète encore et encore elle répète rouler encore et encore.
la tendresse qui circule en dessous, toujours
Merci, Brigitte. Vos commentaires sont précieux. Ils m’apprennent toujours quelque chose, ils confortent.
« …point de lamentations elle répète encore et encore elle répète rouler encore et encore. » Dans cette phrase, je retrouve toute la générosité du texte. Merci pour cette lecture offerte !
Je vous remercie beaucoup. Vous avez lu beaucoup de textes, je vois souvent un commentaire de vous CM LE GUELLAFF. C’est peut-être voulu de ne pas mettre le prénom ?
Retenir sa respiration – comme la vie- tout au long du texte qui va courant d’une fenêtre à l’autre d’un temps de vie à l’autre d’une tragédie à l’autre sans oublier la joie.