À l’extérieur, la dalle humide gelée inerte. Dessous, les rails, la voie de chemin de fer recouverte de béton, et qui maintenant ne dit plus son nom. Les rails sont cachés, doublement scellés – direction Behobia. Simplement ce grondement sourd qui irrigue les vitrines des boutiques posées au-dessus, comme des cabines de poupées aux éclairages précieux et recherchés – et la façade bleue requin de l’agence immobilière, encore frigorifiée dans la nuit du petit matin de décembre. On n’entend pas d’oiseaux, et la mer est à un kilomètre au moins, longue langue de sable sous le regard des Deux Jumeaux. Le bâtiment est parallèle à la voie ferrée. Il s’étire si long que l’on ne peut pas ne pas savoir qu’il est animé de couloirs interminables à carreaux passés picotés, hydre des années 70 corsetée d’une façade blanche sage monotone. S’y égrènent des ouvertures régulières, rectangulaires, comme les dents d’une mâchoire mécanique à béance obsolète. Les fenêtres ne s’ouvrent plus depuis longtemps, ne baillent plus ni aux courants d’air, ni aux vibrations des TGV qui entrent en gare d’Hendaye quelques centaines de mètres plus bas. Il y avait là, dans les années 90, un lycée professionnel pour filles, métiers de la coiffure et de l’esthétique. À l’intérieur des salons blancs et rouges, de grands miroirs devant lesquels les filles jouaient avec leurs chevelures et les crayons épais de maquillage podium. À l’intérieur, effluves de cires mentholées, et nuages de l’encens entêtant utilisé pour les cabines soin du corps. Et les mains malhabiles et timides des filles qui massaient pour la première fois les bourgeoises hendayaises soucieuses de s’étaler harmonieusement sur la plage immense, à la saison. En corolles comme du corail humain, sans la solitude des grands fonds marins. Et le ronronnement nasillard des sèche-cheveux qui couvrait les conversations hésitantes des filles, à qui l’on avait tenté d’enseigner des rudiments de conversation, quelques formules bien senties, des mots gentils apaisants, des mots à soulager les coeurs fendus, les libidos tremblotantes, les chairs hésitantes des clientes qui voulaient ressembler aux sirènes des magazines, aux sylphides des placards publicitaires. Figées dans l’effort, les mains des filles se crispaient malgré elles, malgré les baumes et les crèmes dont elles recouvraient pouce par pouce ces corps qui leur réclamaient douceur, assistance, apaisement. Le soir, elles souffraient des poignets et des avant-bras, de s’être ainsi raidies pour délasser les clientes amollies sur leur serviettes d’un blanc si net. Il y avait dans tout cela un relent d’hôpital, thérapie qui ne s’avouait pas, mais éclatait tout de même dans les protocoles, les règles d’asepsie, dans le sourire normé si sérieux si professionnels des filles, qui espéraient finir leur carrière sur de grands bateaux de croisière. Période préindustrielle du rêve à la petite semaine. Petit business du désarroi des corps, petits trafics enroulés dans les bandes de cire à épiler les jambes les sexes les sourcils les regrets.
Bonjour isabelle,
Passage incroyable du train à l’institut de coiffure, presque diabolique cette façon de les mêler une seconde et puis de les séparer, ça crée un effet d’étrangeté très fort, et qui sert le propos, posant du suspens sur l’école,
Catherine S