On note plusieurs couches sur ce visage. Une pour chaque jour de la semaine. Une pour les grandes occasions, une pour les plus sinistres : un rouge un peu plus foncé, une poudre un peu plus épaisse, du mascara plus volumineux. Une couche que tu prenais des heures à façonner, à ajuster, à expérimenter prenant pour modèles les stars des magazines. Surtout bien dissimuler, ne rien laisser paraître, n’être qu’apparence, être une autre que toi en somme, celle que tu aurais voulu être ce jour. Demain il s’agira d’une autre. Tout mais pas elle, pas toi, pas cette pauvre bâtarde idiote et sans ambition, cette fille sans nom si peu aimable, cette moins que rien, cette traînée des bas quartiers. Comptons les couches pour être sûre, pouvoir s’en conter une autre d’histoire.
Placide et crémeux sous le masque du jour, ton visage arbore un sourire résigné, lèvres légèrement de travers, mains croisées sur les genoux, près du poêle, tu attends. Les heures s’étirent, tes gestes au ralenti quand il y en a. Le moindre mouvement te demande courage et volonté, ce dont tu manques cruellement, tu attends. Une Fine 120 disposée au coin de la bouche, élégante, se consume toute seule. Regardes la télévision comme tu regardes le mur écaillé devant toi quand tu déjeunes, seule, lointaine toujours.
Ta fille t’appelle, moment de grâce dans tes mornes journées. Tu t’animes, ta voix s’élance, se dérouille, narre les menus détails du quotidien. Je ne suis qu’une ombre dans ton univers clos, une ombre passagère, étrangère, un nuage dans ton monde replié, autocentré. Jamais ne connaitrais-je l’au-delà de la façade, je m’ennuie, attends une vaine rencontre.
Née un matin d’hiver d’une fille-mère, comme on disait gentiment à l’époque. Un père lâche et absent. Élevée par un grand-père aimant, disparu bien trop tôt, première couche de noir à étaler sur tes joues pâles de fillette innocente.
Ton visage grisâtre, ta peau flétrie, de vieillarde que je n’ai pas vu se transformer au fil de ces dernières années, que je n’ai jamais approchée de si près sans doute. A peine si je te re-connais, même s’il eût fallu déjà que je t’eusse connue. Sans fard aujourd’hui, juste un filet pastel très léger sur tes paupières éteintes à jamais, un peu de rose sur tes lèvres et c’est tout. Elle est belle n’est-ce pas ? Oui, je réponds sans réfléchir. Ton dernier visage après les deuils, les tempêtes, les angoisses sans borne, visage calme, regard en dedans, camouflé encore. Rien ne change donc puisqu’au final tu ne m’as jamais vraiment regardée. Et l’énigme demeure.
oui, ton titre ne ment pas ! ce qui se cache sous le fard, et ce qu’un visage ne peut dire dès l’instant qu’il ne nous a jamais regardé…
Oui, c’est tout-à-fait cela! Merci Marlen pour tes lectures et relectures si attentives!